Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Crève, Ducon !, François Cavanna, Éditions Gallimard

Août 31, 2022 #Gallimard

C’est le dernier bouquin de Cavanna, l’irremplaçable auteur des Ritals et des Russkoffs. Un livre qu’il n’avait pas fini de retoucher quand il est parti en janvier 2014, mais que Gallimard et son entourage ont considéré comme suffisamment abouti pour nous le passer. Ils ont bien fait parce que cette succession de courts chapitres ou le grand François raconte aussi bien le début que sa fin de vie est un pur régal. On le retrouve gamin à Nogent-sur-Marne, en Allemagne au Service du travail obligatoire (STO), au mitan de son existence avec ses compagnons de Hara-Kiri et de Charlie Hebdo première mouture. Quand il évoque sa maladie de Parkinson qui lui a pourri ses dernières années, pas d’apitoiement ni d’exhibitionnisme. Plutôt le constat qu’il partait en couille vaincu par « cette pouffiasse de Miss Parkinson ». Crève, Ducon ! c’est une écriture inimitable, indéfinissable, irremplaçable, qui nous ferait croire que poser les mots comme il le faisait était chose simple. S’il en était ainsi, s’il suffisait de glisser un peu d’oralité entre les lignes, cela se saurait. Cavanna était un enfant de la communale, il avait quitté l’école à seize ans, mais il avait lu les classiques comme personne. Son origine sociale, père italien maçon, mère morvandelle femme de ménage, lui a sans doute permis de ne jamais étaler sa culture. Il en connaissait pourtant des choses qui lui permettaient de remplir sur la fin de son existence sa chronique hebdomadaire de Charlie Hebdo. Il savait nous les expliquer de telle manière qu’on ne les oublie jamais. Pourquoi ? Parce que Cavanna était aussi drôle que savant. Il était capable de nous raconter que le dogue dénommé danois est en réalité allemand. Sauf que le Français revanchard se refuse à prononcer le nom de son ennemi héréditaire.

Vous imaginez un lycée Le Clézio consacré à la maçonnerie

Il existe une sorte de collège François Cavanna à Nogent-sur-Marne sa ville natale. C’est un Erea, un établissement régional d’enseignement adapté où on forme les élèves au CAP de la cuisine, de l’hôtellerie et de la mode. Il est probable qu’on lui avait demandé son autorisation. Mais quand même … Il fallait oser. Vous imaginez un lycée Le Clézio consacré à la maçonnerie ou à la coiffure ? Impossible ils n’y auraient même pas songé. Passe encore si on enseignait à Nogent le dessin que Cavanna avait pratiqué à ses débuts dans la presse. Non ce qu’il faudrait c’est que les élèves apprennent dans cet établissement l’irrespect, l’insolence, l’art de renvoyer les trouducs à leur connerie. Mais direz-vous ça ne se s’enseigne pas, ça se pratique et ça se lit dans les bouquins du Rital. C’est comme l’humour. Ça ne s’apprend pas, ça jaillit entre deux phrases, et plutôt deux fois qu’une dans Crève, Ducon !. Alors saisissez le livre et régalez-vous. « Je n’ai jamais été un chef. Et je ne veux pas de chef. » nous dit Cavanna. Je suis Charlie certes mais je suis aussi Cavanna !

Il ne faut oublier ni La Reine Margot ni Les Misérables

Lire il a toujours aimé. À s’en planquer sous sa couvrante quand il était petit garçon pour ne pas se faire engueuler par sa mère. Alors quand Cavanna nous confie que Dumas et Hugo valent bien Dostoïevski, on l’écoute ! Quand il nous susurre qu’il ne faut oublier ni La Reine Margot ni Les Misérables, on approuve. C’est par son amour des livres que, grand séducteur, il a rencontré « La petite ». Une jeunette de quarante-cinq ans de moins que lui, la petite Virginie, qui l’a décidé de travailler au catalogue d’une exposition consacrée à sa vie et à son œuvre. Il ne se passa rien entre eux, pas de sexe il était trop vieux, ce qui ne l’empêcha pas de se demander s’il l’aurait autant aimée si « sous la rugueuse étoffe de son jean, il se trouvait, au lieu du petit pain au lait que j’imagine, une panoplie complète de jeune mâle en état de servir ».

Cavanna avait foutu une avoine d’enfer à l’autre merdeux

Dans « Papa dieu » Cavanna boucle la boucle en revenant sur son enfance qu’il a longuement racontée dans Les Ritals. On y retrouve sa mère qui avait gardé les cochons dans la Nièvre avant de monter faire la domestique à Paris. Il décrit son père qui parlait le dialetto de ses montagnes avec ses copains en buvant des coups de rouge. Comment avaient-ils pu se mettre ensemble ces deux-là si différents, au point que sa mère toujours en quête de respectabilité finit par juger son mari inéducable, et qu’elle lui refusa son lit ? Par dépit sans doute pour la paysanne du Morvan qui avait perdu son amoureux pendant la guerre. Et parce qu’ils s’étaient ensuite retrouvés dans l’amour de François le petit génie de la communale qui remplissait d’orgueil sa maman. Mais c’est son père qu’il aurait voulu côtoyer davantage, son père qui était son dieu au point que le jeune Cavanna s’était jeté sur ce petit con de Roca lorsqu’il dit de son paternel qu’il « était bon qu’à déboucher les fosses à merde » . Ce jour-là le grand échalas de Cavanna avait foutu une avoine d’enfer à l’autre merdeux, il lui avait serré le cou pour le faire crever, si bien qu’ils durent se mettre à trois adultes pour les séparer. Paisible oui il l’était, mais il ne fallait pas toucher à son dieu.

Il lui montrait ses fesses à l’immonde

Elle lui aura pourri la vie cette gueuse de Parkinson. Il croyait pourtant l’avoir baisée en ayant récupéré sa grande cursive qui faisait sa fierté. D’accord elle n’était plus aussi belle qu’elle l’avait été, mais on pouvait de nouveau la déchiffrer. Alors il lui tirait la langue, il lui montrait ses fesses à l’immonde. Et puis elle est revenue lui attrapant le pied dans l’escalier, le faisant tomber en arrière. Bilan : sept côtes cassées, des vertèbres en vrac, le rein on ne savait pas trop, la rate qui saignait et un pronostic réservé sur la validité du raisonnement. Serait-il « encore plus con qu’avant ? » Et voilà que presque réparé il voudrait, il pourrait, mais il ne savait plus quoi écrire. Pourtant quel joli métier qu’écrire. Il suffisait de s’y remettre. D’écrire même sur ses doigts de pieds puisqu’avec sa nouvelle voussure c’est ce qu’il observait le plus facilement.

Roger en jetait dans sa culotte de soie violette

Cavanna a toujours aimé l’orthographe, corrigeant à la demande ses copains d’école. On le retrouve cette fois en compagnie de son pote Roger expliquant aux deux filles qui les accompagnaient qu’elles ne pouvaient dire qu’elles avaient l’air conne. Et pour cause puisque le terme se rapportait à « l’air ». On ne sait s’il les avaient convaincues, mais ce qui est sûr c’est qu’elles s’étaient foutues de sa tronche. Pour Roger c’était gagné par avance, il avait approuvé. Roger son copain d’enfance qui ne le quitta qu’un an avant l’écriture de ce livre. Un Italien du Nord presque la Suisse, un Hercule sans jamais avoir fait de muscu, avec les cheveux blond fauve bouclés et les yeux vert-bleu, « le piège à filles sur mesure ». Cavanna avait été boxeur avec Roger pendant l’occupation. Une période où Cerdan et Dauthuile étaient les seuls à faire rêver les Français. Boxeur tel Chaplin dans Les Lumières de la ville, caché derrière ses gants, dansant pour éviter que son adversaire ne lui en colle une. Comme l’autre n’en faisait pas beaucoup plus, les voilà traités de faignants par le public qui n’était pas venu voir deux chochottes se caresser. Cavanna fut déclaré vainqueur aux points et aussitôt hué par le public. Il leur fit un bras d’honneur et reçut des tabourets sur le ring. Fin de sa carrière. Le pire était pourtant à venir. Lui et ses copains étaient montés attifés comme des clodos entre les cordes, certains avec un vieux pantalon d’autres en calbut. De retour au vestiaire on leur avait tout piqué, les vêtements, les papiers y compris la carte de rationnement. La nuit ils la passèrent en tôle, arrêtés par une patrouille allemande. Elle ne manqua pas d’admirer Roger qui en jetait dans sa culotte de soie violette. C’est ensuite que les flics du STO lui étaient tombés dessus.

Et encore la Raymonde n’était pas fâché avec l’hygiène

Ado il était déjà un renifleur de première, attiré comme aucun autre par la charge explosive du parfum d’une certaine Raymonde. Il en prenait plein les naseaux de celle qui un jour s’était assise jambes pendantes, cuisses à l’air, sur la carriole qu’il tirait. Et encore la Raymonde n’était pas fâchée avec l’hygiène vu qu’elle se lavait une fois par semaine aux douches municipales. Alors les autres imaginez un peu. Il devait s’en régaler lui qui avait toujours apprécié les senteurs fortes. Il suffit de relire les Russkoffs pour s’en souvenir.

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