Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La syndicaliste, Jean-Paul Salomé

Mar 5, 2023

En adaptant au cinéma La syndicaliste de Caroline Michel-Aguirre, Jean-Paul Salomé en a changé l’angle mais pas le plaisir qu’on en retire. Faites-vous donc les deux versions, en commençant de préférence par la VO pour ne pas brider votre imagination. Principale différence avec le livre, le film laisse au second plan le mécano industriel qui a provoqué la « guerre » entre Areva et EDF au sein du nucléaire français. Jean-Paul Salomé propose avant tout le récit du tsunami qui s’est abattu sur Maureen Kearney, la principale syndicaliste du groupe Areva. Rien que de très logique car si Caroline Michel-Aguirre travaille depuis longtemps sur les sujets économiques et politiques, le cinéaste est avant tout un raconteur d’histoires. Mais on n’y perd pas au change tant Isabelle Huppert est bouleversante. Comme le film propose une adaptation fidèle du livre, on pourra se reporter à ma chronique précédente pour davantage de détails sur l’intrigue. Alors autant en profiter pour signaler trois belles réussites du film.

« Il y connaît quoi en tampax ? »

La première concerne les discriminations subies par les femmes. Maureen Kearney et Anne Lauvergeon la première patronne d’Areva interviennent dans un monde d’hommes et on leur fait comprendre. C’est naturellement la sans-grade qui en souffre le plus. Mais même « Atomic Anne » n’a pas la tâche facile. Dans l’univers des plus grandes sociétés les femmes ne sont jamais les bienvenues. Et probablement davantage encore dans celui des ingénieurs. Ce n’est toutefois rien en comparaison de ce qu’a vécu Maureen Kearney, qui a en plus subi un viol et son traitement médico-judiciaire. On a notamment mis en doute sa sincérité pour ne pas avoir expulsé le manche de couteau qu’on lui avait planté dans le vagin. Une réaction bien masculine qui fait dire à une gendarme à propos de son chef enquêteur : « il y connaît quoi en tampax ? ». La seconde réussite concerne les difficultés rencontrées par les syndicalistes qui se heurtent à une vieille antienne du patronat français : leur dénier toute compétence. Pensez-vous dit le nouveau patron d’Areva à propos de Maureen, elle n’est pas même ingénieure. Aurait-elle été à la CGT qu’il l’aurait renvoyée à ses merguez. Ce qui aurait été une grave erreur, Maureen n’ayant aucun talent dans l’utilisation du barbecue dont elle laisse avantageusement la manipulation à son mari. Comme quoi Sandrine Rousseau ne dit pas que des bêtises. Corollaire de la supposée incompétence de la syndicaliste, on pardonne bien des choses à celui qui tire sa légitimité de son poste de dirigeant. Alors quand Maureen secoue verbalement son patron en réunion pour obtenir des informations, il lui lance une chaise à la tête. Et que se passe-t-il ? Rien. Personne ne réagit. Il ne faut surtout pas oublier les préséances à respecter en société.

La sympathique Irlandaise a failli y laisser la vie

Ce qui m’a véritablement bouleversé c’est la solitude qui s’abat sur Maureen Kearney. Les enquêteurs en jouent en faisant douter son mari et sa fille pour faire tomber ses derniers soutiens. Il faut peut-être avoir vécu ce type de situation pour le ressentir. Pour percevoir combien la défiance de ceux avec qui vous étiez censés agir peut vous faire souffrir. Je n’ai heureusement jamais matché avec des pointures de la taille de ceux qu’a affrontés Maureen Kearney, car la sympathique Irlandaise a failli y laisser la vie. Mais j’ai terminé ma carrière à l’Insee avec un directeur général téléphonant à ma cheffe d’établissement pour lui dire qu’il allait me sucrer des primes. Raison invoquée : un post que j’avais déposé sur le blog d’un professeur d’économie (ici). Et bien je n’ai pas réussi à obtenir le soutien de mes collègues que j’avais probablement lassés. Tout illégale qu’ait été la menace de Jean-Luc Tavernier, il avait gagné. C’est toujours compliqué de bousculer l’ordre établi. De faire comprendre qu’un statut institutionnel ne donne pas tous les droits. Que quelqu’un qui s’engage avec constance n’est pas forcément un excité. Heureusement Maureen Kearney n’a jamais été lâchée par la CFDT qui lui a payé ses frais d’avocat lors de son procès en appel. Elle s’en est sortie sans hélas que les responsables de son calvaire soient inquiétés. Henri Proglio et Alexandre Djouhri, qui sont nominalement cités dans le livre et le film, n’ont jamais été interrogés. La France insoumise va toutefois demander la création d’une commission d’enquête sur ce qu’elle qualifie de « scandale d’État ». Maureen Kearney s’en est réjouie. Cette femme, qui a payé bien trop cher son engagement, est par son courage un modèle pour nous. On lui doit de relancer l’enquête comme on le doit à la démocratie.

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