« Je m’appelle François Feldman, comme l’aut‘ con. Mais je ne suis pas chanteur. ». C’est ainsi que celui qui a grandi dans la cité des Buers à Lyon a l’habitude de se présenter. On l’appelle le Juif, ou le Rebeu blanc, voir le Gros eu égard à son physique. Autant dire qu’avec tout ça François n’est pas spécialement bien parti dans la vie. Alors il change, il déménage dans le centre de Lyon derrière la gare Perrache. Il ouvre sa boutique après avoir chèrement négocié un prêt avec Juliane Bacardi sa conseillère financière de la Banque populaire. Malgré la fulgurance de son concept, vendre des T-shirts décorés de fausses citations comme « On est bon avec les nouveaux freins, signé Ayrton Senna » ou « Mais puisque je vous dis que ça passe, signé Capitaine du Titanic », ça marche moyen. Sûrement pas assez pour convaincre la Bacardi de la viabilité du projet. Pourtant il lui a présenté son nouveau T-shirt où on peut lire « Bonjour, c’est bien ici Charlie Hebdo, signé Chérif Kouachi ». François est persuadé que ça cartonnera dans les quartiers, Juliane Bacardi alias Conasse Bacardi beaucoup moins. Et ce n’est pas son nouveau projet qui la fera changer d’avis. François s’est mis en tête de faire venir de la terre d’Algérie pour enterrer ceux qui auraient voulu être rapatriés au pays. Mais qui ne le peuvent pas puisque leurs enfants et petits-enfants vivent en France. Il faudra un sacré concours de circonstances pour que Madame Banque populaire lui avance l’argent.

Ils portent des Nike Air et non des Stan Smith

On ne le sait pas assez, Jacky Schwartzmann a un talent fou. Il est un des rares romanciers à allier à bon escient le récit social et l’humour. Demain c’est loin est son troisième bouquin, il lui a valu le prix 2017 Transfuge du meilleur espoir Polar. Trois ans après celui reçu par Nicolas Mathieu pour Aux animaux la guerre, ce qui n’est pas peu dire. Schwartzmann a depuis confirmé avec cinq autres romans dont Pyongyang 1071 et Shit déjà présentés sur ce blog. Comme Shit, Demain c’est loin nous emmène dans les cités où les habitants ont les mêmes caractères que dans les quartiers huppés. Il y a des gens biens, des abrutis, de vrais salauds, la principale différence étant que faute de réseaux il est bien plus difficile de réussir aux Buers qu’en centre-ville. Et comme ceux réduits à l’état d’Arabes ne connaissent pas les codes, ils portent des Nike Air et non des Stan Smith, ils boivent du coca et sont infoutus de nommer un grand cru, leur avenir s’inscrit clairement en bas de leur immeuble. Si besoin par la force comme son ami d’enfance Saïd devenu caïd du quartier en vendant de la drogue, et capable de défoncer au burin quiconque s’oppose à lui. Mais est-ce plus cruel que de tarifer les sept milliards d’euros de découverts bancaires des Français entre huit et seize pourcent ? « Ce qui revient à une sodomie ». Demain c’est loin est un roman haletant, drôle, qui vous en apprend des kilos sur la vie dans les cités, pas moralisateur pour deux sous, il serait dommage de s’en passer.

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