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Le blog de Laurent Bisault

Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud, Éditions Actes Sud

Sep 5, 2023 #Actes Sud

C’est au printemps qu’il l’aperçoit, c’est la meilleure saison, celle où les ours ressortent affaiblis de leur longue sieste. L’ourse a quitté sa tanière alors Jules en profite pour y pénétrer. Il fait vite, si elle revient et le trouve, il est mort. Jules les voit, deux oursons qui attendent leur mère, il saisit le plus gros qu’il fourre dans un sac et s’enfuit. La petite bête aux poils hérissés vient de quitter le monde animal. C’est une femelle. Jules qui fréquente depuis l’enfance les montreurs d’ours se voit déjà avec elle en Amérique. De toute façon en cette année 1883, il ne peut rester dans son village d’Arpiet où il n’y a pas assez pour tous, il en faut qui partent. Un siècle plus tard Gaspard quitte Arpiet et monte à l’estive. Il est un des derniers bergers avec le vieux Jean à faire le voyage à pied. Les autres ont pris l’habitude de hisser les brebis dans un camion qui les rapproche des lieux où elles passeront l’été. Mais aujourd’hui quand il atteint la cabane spartiate, des couchages, une cuisine sommaire, un poêle à bois, une table, des chaises et quelques livres, il est seul. Gaspard n’a pas emmené le troupeau. Il est là pour préparer avec sa chienne Lunita l’arrivée des brebis tarasconnaises du groupement pastoral qui l’emploie. Alma n’est pas du village. Ce n’est pas qu’elle soit mal accueillie, mais selon les dires du pays il faut avoir trois générations avant soi dans la tombe pour être d’ici. Or Alma a autant d’ascendances espagnoles que françaises. Elle a aussi beaucoup bougé en tant que docteure en biologie comportementale pour suivre les ours du Kamtchatka à l’Alaska. Désormais Alma vit à Arbat là où on a pris l’habitude de cracher sur tout ce qui vient de la ville. Elle produit des données pour aider les éleveurs à cohabiter avec l’ours. Ce qui n’est pas gagné dans ce coin où on buterait volontiers les plantigrades.

Bienvenue dans le Couserans, capitale Saint-Girons

Bienvenue dans le pays des ours. Celui où on a longtemps eu l’habitude de les dresser pour les exhiber sur les foires de France ou d’ailleurs. Celui que les ours slovènes réimplantés dans les Pyrénées ont en grand nombre choisi pour y séjourner. Bienvenue dans la partie occidentale de l’Ariège où l’on se vante de parler une langue plus proche du gascon du Comminges que de l’occitan du pays de Foix. Bienvenue dans le Couserans, capitale Saint-Girons, une province historique des Pyrénées qui symbolise mieux que tout autre lieu les difficultés de faire cohabiter l’ours et l’homme. C’est ici que réside aujourd’hui Clara Arnaud, une jeune femme qui s’est servie avec brio de sa connaissance du coin pour nous livrer un roman qu’il ne faut surtout pas manquer. En la suivant vous allez découvrir des villages et des montagnes dont elle a changé les noms mais que l’on se plaît à identifier. Tout se passe donc autour de Massat, Oust et Seix, au pied du massif des Trois-Seigneurs rebaptisé massif des Trois Reines. Massat le village sauvé de la disparition par des néo-ruraux qui ont fait souche, où les éleveurs ont manifesté en 2005 contre la réintroduction de l’ours. Oust et Seix sis de l’autre côté du col de Saraillé où les chasseurs ont tué un plantigrade en 2023. Bienvenue donc dans le pays où les ours ont presque toujours vécu, mais où on se divise plus qu’ailleurs sur leur présence.

Les mâles isolés peuvent manger les oursons d’une femelle qu’ils n’ont pas fécondée

Dans son roman palpitant qui mêle deux époques, Clara Arnaud s’interroge sur notre rapport à la nature en nous proposant trois points de vue. Celui des éleveurs qui refusent de partager les estives avec l’animal qui leur emporte parfois des brebis. Chez ces Ariégeois certains ont la gâchette facile et ne rêvent que de tirer l’ours fût-il protégé par la loi. Nombreux sont les lobbys qui les appuient dans ce département où le président du conseil général a un jour été pris avec un isard braconné dans le coffre de sa voiture. D’autres éleveurs sont plus conciliants et considèrent que l’ours fait partie de la montagne et qu’il faut faire avec. Comme le dit le vieux Jean qui connaît plus que tout autre les estives, l’ours a droit à sa part comme les accidents ou les aléas climatiques, sachant que les ovins sont de toute façon destinés à l’abattoir. La troisième orientation est celle de la biologiste Alma qui s’efforce de comprendre comment vivent les ours. C’est avec elle que l’on découvre que les mâles isolés peuvent manger les oursons d’une femelle qu’ils n’ont pas fécondée parce que « l’infanticide » va déclencher chez elle les chaleurs. Et que c’est peut-être pour protéger leurs oursons que certaines ourses se rapprochent des bergers. Il n’est pas difficile de comprendre où vont les préférences de Clara Arnaud, surtout quand elle explique qu’une saison en altitude fait perdre environ 3 % des animaux toutes causes confondues. Soit infiniment moins que l’agneau congelé de Nouvelle-Zélande qui est depuis des années le véritable prédateur de l’élevage français. Et que dire du réchauffement climatique qui à terme empêchera les bergers d’emmener leurs bêtes dans les hauteurs ? Le débat n’est toutefois en Ariège pas que scientifique. Il faut faire avec les croyances, les habitudes et la tentation de rejeter ce qui vient de l’extérieur. Alors quand tout cela nous est rapporté avec un véritable talent de conteuse, on se régale.

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One thought on “Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud, Éditions Actes Sud”
  1. « En voilà un qui connait l’Ariège… L’avantage avec la littérature, c’est qu’elle permet de rester jeune très longtemps. Voilà treize ans que je suis une jeune autrice.
    L’élixir de jouvence, je vous le donne : écrire beaucoup, se baigner dans les torrents glacés à échéance régulière, suivre les élans d’un quadrupède infatigable, Le Chien. »
    Clara Arnaud sur Facebook

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