Anna heurte un sanglier. Pourtant la nuit était claire mais elle ne l’a pas vu venir. Sa camionnette s’enflamme, sa rôtissoire et ses poulets aussi. Sa petite entreprise créée il y a cinq ans est morte. De retour chez elle retrouve son fils Léo, treize ans, ils habitent un mobile home fourni en kit, posé sur des rondins, auquel elle a ajouté une pergola. Pour le remboursement du camion Anna peut se brosser. Non seulement elle n’a souscrit qu’à la couverture minimum, mais en plus l’assureur exige de tester sa consommation de cannabis. Or Anna a fumé un joint en rentrant chez elle, de sa production personnelle, elle sera donc positive. Valéry Leroy est le PDG de Renault-Nissan. Dans les affaires on le surnomme le Roi lion. En face de lui, face au Jet d’eau de Genève, la Reine des abeilles, celle qui dirige un État de 67 millions d’habitants. Valéry Leroy a besoin d’elle pour relancer ses ventes, pas dans les villes, dans les bourgs et à la campagne. Et pour cela rien de mieux que de passer par la télévision publique pour organiser le Jeu. Que le gagnant reparte avec un 4*4 hyperpolluant embarrasse la Reine des abeilles, qui avait fait de la lutte contre le changement climatique le cheval de bataille de son élection. Elle pourrait refuser au risque que Leroy réenclenche les délocalisations. Elle ne le fera pas parce qu’elle compte sur le Jeu pour redonner confiance au pays. Pour montrer qu’avec pugnacité on peut y arriver. Le principe du Jeu sera simple : toucher le pick-up d’une valeur de 50 900 euros et ne pas le lâcher. Le vainqueur sera le dernier qui restera. Léo presse sa mère d’y participer pour vendre le 4*4 et racheter une camionnette. Anna résiste, elle souhaite préserver sa dignité. Puis elle finit par accepter après avoir appris qu’Endemol l’a présélectionnée. C’est Léo qui l’avait inscrite.
Elle est belle l’écriture d’Incardona
Il n’est pas assez connu Joseph Incardona. Il a pourtant signé plus de vingt romans dont Derrière les panneaux il y a des hommes qui lui valut le Grand prix de la littérature policière en 2015. Ce qui lui permet de figurer sur la même page que Richard Morgiève, Frédéric Paulin, Marion Brunet ou Hervé Le Corre, rien que des pointures que l’on peut retrouver sur ce blog. J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cet auteur italo-suisse en présentant Une saison en enfance et surtout La soustraction des possibles qui racontait le monde de la finance de Genève. Dans Les corps solides Incardonna présente l’envers du décor, les pauvres, les borderline, ceux qui tentent de survivre. Non plus en face du Léman mais à côté de l’océan, là où on scrute les vagues pour sortir les planches. Et elle va être broyée Anna alors qu’elle s’était construit son petit refuge à la mort de son mari. Pas grand-chose, mais assez pour y vivre entre ses ventes de poulets sur les marchés et son fils Léo à élever. Alors elle qui a été une surfeuse libre en Californie, elle plie. Elle accepte ce jeu concocté par l’alliance d’industriels et de hauts personnages de l’État pour leur seul intérêt. Une version modernisée d’On achève bien les chevaux de Horace McCoy où des déclassés de toutes sortes, doctorants en littérature sans boulot, handicapés, anciens légionnaires, vont s’affronter. Elle est belle l’écriture d’Incardona qui préserve toujours une lueur d’espoir, pas celle de gagner les 50 000 euros, celle qui permet de vivre. Chez Anna c’est l’amour de son fils qui le lui rend bien. C’est la promesse qu’elle s’est faite de l’emmener sur des vagues symboles de liberté. C’est l’amitié d’un couple de retraités qui leur viennent en aide en affirmant que « Deux vieux contre une banque, ils n’ont aucune chance ! ». Elle est vraie son histoire où deux copines paumées se font belles le samedi soir avant de rentrer dans le bar en rêvant de casser leur solitude.
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Les-corps-solides.html
« Tout le bar s’est levé aux riffs de Cadillac Ranch »
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