Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La soustraction des possibles, Joseph Incardona, Éditions Finitude

Mai 1, 2020 #Finitude

Un prof de tennis un tantinet playboy, spécialiste des femmes riches plus avancées que lui dans l’âge. Une jeune financière aux dents longues arrivée depuis quelques années de Tchécoslovaquie. Des banquiers qui n’en ont jamais assez. Un avocat d’affaires âpre aux gains. Des bergers corses bien plus puissants que ne le laisseraient croire leurs troupeaux. Et Genève au début des années 90, la ville qui se dit calviniste, mais où le pouvoir se décline autour du sexe, de l’argent et des mauvais coups. Bienvenue dans un monde où l’ascension sociale se paye au prix fort. Au début tout semble simple. Aldo Bianchi séduit Odile sur un court de tennis. C’est presque son métier. C’est en tout cas de ça qu’il vit, bien plus que de ses leçons. Aldo n’a pas fait d’études et le temps où il était le douzième joueur du pays commence à dater. Odile a entre 40 et 55 ans. Mariée à un riche Genevois plus souvent en voyage d’affaires que dans leur luxueuse maison, Odile est toujours belle. Alors autant en profiter. De toute façon Aldo ne promet rien. Odile est très amoureuse d’Aldo. Elle le met en relation avec des proches de son mari pour lui faire gagner un peu d’argent. Aldo transporte des valises de billets de France en Suisse. Des bagages qui sont récupérés et recyclés par Svetlana Novák, une fondée de pouvoir à l’Union des banques suisses (UBS). Svetlana parle cinq langues, elle est encore plus belle qu’Odile, bien plus jeune, et elle aspire à succéder à son patron le directeur responsable des devises étrangères à l’UBS. Tout leur est donc possible.

Cela donne un roman passionnant, très bien écrit, cru, bien plus ancré dans la vraie vie que certains ne voudraient le croire

Il y a un peu de la vie de Joseph Incardona dans les personnages d’Aldo Bianchi et de Svetlana Novák, deux immigrés qui peinent à se faire une place en Suisse. C’est ce qu’a vécu Joseph Incardona né de mère suisse et de père sicilien, ce que ses jeunes camarades n’ont pas manqué de lui rappeler comme il l’a raconté dans Une saison en enfance. C’est ce qu’il dit dans son interview à Libération en parlant de son père et de sa mère qui se sont tués au travail au profit de leurs patrons. Mais l’émancipation d’Aldo et de Svetlana s’avère bien plus périlleuse que celle du petit Incardona, car les riches acteurs économiques de Genève ne sont pas prêts à céder leur place. Cela donne un roman passionnant, très bien écrit, cru, bien plus ancré dans la vraie vie que certains ne voudraient le croire. Il suffit de se souvenir du banquier Édouard Stern ou des multiples malversations de l’UBS pour s’en convaincre. Un livre qui nous donne envie de découvrir Charles Ferdinand Ramuz, auteur suisse francophone du début du XXe siècle. Un livre qui met en valeurs les femmes et non pas les hommes. Alors polar en raison de son intrigue et parce qu’Incardona cite Jean-Patrick Manchette ou livre sans étiquette ? Difficile de répondre car Incardona évoque aussi Norman Mailer. Dans les deux cas des raconteurs d’histoires où ça cogne. Peu importe La soustraction des possibles est avant tout un bouquin réussi.

Interview de Joseph Incardona dans Libération.

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