Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Les danseurs de l’aube, Marie Charrel, Éditions de l’Observatoire

Jan 25, 2023 #L'Observatoire

Hambourg 2017, réunion du G20, la ville est en état de siège. Des centaines de cars venus de Suisse, d’Italie, de Suède et d’ailleurs ont déversé black blocs, activistes et altermondialistes qui clament leur dégoût du capitalisme. Très tôt le matin, trop tôt pour que les affrontements aient repris, un photographe de l’AFP saisit dans son viseur deux jeunes corps qui dansent. Imperio et Dolores, les danseurs de l’aube, vont bientôt être montrés par la plupart des médias internationaux. Ils sont trois amis à avoir grandi ensemble à Berlin. Lukas chez qui le conflit entre masculin et féminin fait rage, Carl qui a poussé trop vite déjà voûté à onze ans, et Nazir le génie de l’informatique. Les trois sont désormais majeurs et se sont rendus à Hambourg. Iva et Katalin forment une famille de Roms à elles deux. Elles sont expulsées de leur appartement parce qu’en Hongrie leur peuple n’a plus droit aux logements sociaux. Elles avaient précédemment quitté leur maison sans eau, dans un village de Roms sans travail et sans espoir, pour se rapprocher du professeur de flamenco. Katalin qui se morfond de sa campagne disparaît et laisse sa fille partir avec un autre Rom à Hambourg. Sylvin Rubinstein est un mythe de Sankt Pauli, le quartier rouge de Hambourg. Il l’a fait revivre après la guerre, lui le travesti qui avait survécu et qui a animé les nuits en dansant le flamenco. Le danseur juif est mort en 2011 sans savoir qu’une communauté lui voue un culte païen en Allemagne, en France, en Espagne et au Brésil. Un soir à Hambourg Lukas découvre Iva sur scène.

Pour se protéger Sylvin et Maria ont parfois raconté qu’ils étaient originaires de Galice en Espagne

Ce livre, judicieusement peuplé de personnages historiques, est magnifique. Marie Charrel l’a construit en alternant l’histoire à peine romancée de Sylvin et Maria Rubinstein, deux jumeaux nés d’un duc russe et d’une danseuse juive, et celle de Lukas et d’Iva. Sylvin et Maria ont grandi à Brody en Galicie sous un statut indéterminé, ni juifs ni goys, plus ou moins Russes, Polonais et Ukrainiens. C’est au contact de Gitans espagnols qu’ils ont découvert le flamenco. Leur vie n’a pas été facile dans cet environnement où bouffer du Juif était une des occupations de ceux qui se considèraient être les légitimes habitants du lieu. Brody est à portée de fusil de Lviv, et Philippe Sands a raconté dans Retour à Lemberg combien les Juifs y furent martyrisés. Pour se défendre Sylvin et Maria ont parfois raconté qu’ils étaient originaires de Galice en Espagne, que l’on associait plus facilement au flamenco que la Galicie. La suite de leur vie a été plus douloureuse. Elle est passée par le Ghetto de Varsovie puis pour Maria par le camp d’extermination de Belzec au sud-est de la Pologne. Un demi-million de Juifs furent exterminés dans ce lieu qui fut le premier à être utilisé pour « vider » le Yiddishland. Sylvin le danseur androgyne profita de sa capacité à se transformer pour échapper aux nazis et il s’engagea pleinement dans la Résistance. Lukas et Iva vont parcourir l’Europe jusqu’en Andalousie, le berceau du flamenco, pour retrouver les traces de leurs deux prédécesseurs. En plus de ses romans Marie Charrel écrit sur l’économie financière dans Le Monde. Elle fait partie des journalistes qui, comme Vanessa Schneider dans La fille de Deauville et Benoît Vitkine dans Donbass et Les Loups, savent au mieux utiliser l’histoire pour faire vivre leurs personnages.

Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/?page=q&recherche=Les+danseurs+de+l%27aube+de+Marie+Charrel

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *