Vallée de la Santoire (Cantal) juin 1967, mille mètres d’altitude, elle aura trente ans dans trois semaines. Elle a trois enfants Isabelle, Claire et Gilles, et une belle ferme de trente-trois hectares avec un commis et un vacher. Elle est mariée depuis huit années dont quatre passées dans cette exploitation du bout du monde. Son mari dort sur le banc, il va bientôt se réveiller et lui demander ce qu’elle attend pour débarrasser la table. Son père l’avait prévenu, il n’aimait pas la manière dont celui qui allait l’emmener de l’autre côté de Murat la regardait. Aujourd’hui elle n’arrête pas, la maison, le linge, les enfants, le jardin, les poules et les lapins. Son corps lardé des cicatrices de ses trois césariennes n’est plus le même. Son vrai, celui d’avant, est parti. Elle n’aura plus d’enfants, après le troisième le docteur lui avait expliqué la ligature des trompes comme ça elle serait tranquille. Heureusement pour l’aider il y a une bonne Nicole qui a succédé à Annie. Chez elle à Fridières il n’y en avait jamais eu, alors que ses beaux-parents ont six domestiques. Ils ont toujours su rentrer de l’argent. Ils ont été les premiers à acheter un tracteur, une voiture, une télévision. À la ferme personne ne vient sauf le facteur et le marchand de bestiaux, eux ne sont pas d’ici et on leur fait savoir en les appelant les Aurillacois. Ils ne vont nulle part sauf dans les familles une fois par mois. Pourtant elle fait semblant. Semblant de vivre, alors qu’il la cogne dans les jambes, dans le ventre, en lui gueulant dessus qu’elle est grosse et molle.
Les parents n’ont pas de nom
Les sources ce sont les racines. Dans cette histoire il s’agit de la ferme où la famille s’est installée avant d’éclater. Roman après roman Marie-Hélène Lafon enrichit son œuvre de nouvelles vies du Cantal. Après Histoire du fils présenté récemment sur ce blog, elle remet ça avec des paysans installés sur les hauteurs du Cézallier. C’est court, sec, bouleversant. Les parents n’ont pas de noms, seuls les enfants, leurs employés et le reste de la parentèle en ont un. Pourquoi en auraient-ils puisqu’ils ne se parlent pas ? Lui hurle, elle se tait. Le père et la mère ont pourtant construit leur destin, d’abord fiancés en attendant qu’il revienne de son service militaire au Maroc. Puis mariés et associés dans l’achat de la ferme dont ils sont propriétaires à parts égales. Elle a toujours voulu des enfants, elle les a eus, trois en sept années. Mais maintenant « Elle est comme une vache lourde, une vieille vache fatiguée ». Alors il cogne pour lui dire qu’elle ne sert plus à rien, et qu’elle passe son temps à dépenser pour les courses l’argent qu’il gagne en travaillant. Elle l’accepte, comme elle accepte la terreur qu’il impose aux enfants. Jusqu’au jour où.
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