Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La littérature est une manière de rendre les coups, Nicolas Mathieu, Éditions Points & Arte

Fév 9, 2023

Aujourd’hui c’est podcast. Et pas n’importe lequel, un podcast littéraire consacré à Nicolas Mathieu par Richard Gaitet pour Arte Radio. L’écrivain vosgien raconte son origine sociale, un père électromécanicien qui a arrêté l’école à 14 ans et une mère comptable qui le fit à 16. Il se remémore ses trois premiers livres, Aux animaux la guerre publié en 2014, Leurs enfants après eux qui lui valut le Goncourt en 2018, et Rose Royal une longue nouvelle sortie en 2019. Connemara son quatrième roman est abordé dans la version papier du podcast, pas dans l’enregistrement audio. Vous retrouverez ces quatre livres sur Surbooké avec en prime deux chroniques que j’ai consacré à ce grand auteur : L’écrivain et les politiques et Luttes et littérature, parce que Nicolas Mathieu est véritablement le boss de mon blog. Dans le podcast il évoque ses influences littéraires qui relèvent presque toutes du roman social. Et il décrit sa façon de travailler, ce qui fera comprendre à tous ceux qui n’ont jamais essayé combien il est difficile d’écrire.

Il fut un moment où son cœur balança entre Rimbaud et Jean-Claude Van Damme

Nicolas Mathieu a montré très jeune une aptitude à l’écriture. Ça a commencé en CE1 avec une institutrice qui choisit de lire son devoir en classe. Il s’agissait d’inventer une nouvelle fin à l’histoire de saint Nicolas, dont la légende voulait qu’il ait sauvé trois enfants qu’un boucher avait placés au saloir. Quelle avait été cette fin, Nicolas Mathieu ne le sait plus. Mais il se souvient en avoir tiré une satisfaction narcissique. Il lui faudra toutefois attendre l’âge de trente-quatre ans avant que son premier bouquin soit publié. Parce que ça n’a pas été facile. Certes il avait accès à des livres chez lui, ceux de France Loisirs, et il a rapidement pris l’habitude d’afficher sur les murs de sa chambre des photos de quelques-uns des meilleurs écrivains français ou étrangers. Sans pour autant que cet intérêt soit exclusif. Il fut un moment où son cœur balança entre Rimbaud et Jean-Claude Van Damme. Ses parents ont beaucoup investi dans son éducation en l’inscrivant dans une école privée. C’est là qu’il prit conscience de la notion de déclassement. Il n’y était clairement pas à sa place comme aurait pu le dire Annie Ernaux. Heureusement en classe de première bonne pioche avec sa prof de français qui lui fit découvrir Flaubert et surtout Céline. C’est avec le répugnant médecin que Nicolas Mathieu saisit l’importance du style.

Il se revendique romancier s’inscrivant dans un environnement social

Après des études d’histoire et des petits boulots Nicolas Mathieu est chargé à vingt-sept ans de retranscrire les réunions de comités d’entreprise consacrées à des liquidations judiciaires et des plans sociaux. Il va s’en nourrir pour son premier roman Aux animaux la guerre. Assister aux joutes entre représentants des patrons et des ouvriers le relie aux vingt-cinq années de militantisme de son père à la CFDT. Son personnage principal sera donc Martel, syndicaliste chez Velocia, un sous-traitant vosgien de l’automobile qui bat de l’aile. Nicolas Mathieu n’est pas pour autant un documentariste, il se revendique romancier s’inscrivant dans un environnement social. Son bouquin il n’aurait pu l’écrire depuis Paris. Il n’est pas davantage un descendant de Zola qu’il a d’ailleurs fort peu lu. Tout n’est pas à sauver chez Martel même si sa transgression toute personnelle de la loi est effectuée pour la bonne cause. Mais il y a encore loin jusqu’à la sortie de son livre. Et c’est en s’inspirant de J.P. Manchette, un des leaders du néo-polar français, qu’il accepte l’idée que les écrivains ne sont pas tous issus de la bourgeoisie. Nicolas Mathieu termine son livre pressé par le temps puisque sa compagne attend un enfant. Il le paiera d’un burn-out. Mais il sera heureux que le seul éditeur qui l’aura accepté, Actes Sud, lui dise qu’ils avaient tout de suite compris avoir affaire à un écrivain. Car l’écriture est chez le Vosgien ce qui compte le plus.

Le Goncourt à quarante ans pour son deuxième roman

2015, retour à Nancy et séparation de son couple. Malgré le joli succès de son premier roman et son adaptation pour la télévision, Nicolas Mathieu ne vit toujours pas de sa plume. Alors il bosse pour un site de surveillance de la qualité de l’air. Côté écriture il n’en a pas fini avec Jordan et Lydie les deux ados des Animaux la guerre. Il se replonge donc dans une nouvelle histoire d’adolescents nourrie par les souvenirs qui remontent avec son retour au pays. Comme ça n’est pas plus facile que pour le bouquin précédent, il s’astreint à écrire 1 000 mots par jour. Toutefois pas tous les jours puisqu’il boit une fois par semaine et qu’il n’écrit pas le lendemain. Question effort, l’écriture n’est rien en comparaison de la réécriture, qui est heureusement bridée par son éditeur. Cela lui vaut le Goncourt à quarante ans pour son deuxième roman, ce qui est exceptionnel. Il y aura ensuite Rose Royal, une commande de Marc Villard un autre pape du néo-polar, sortie chez un tout petit éditeur. Puis Connemara un roman qui a comme les autres trouvé ses lecteurs. Ce n’était pas gagné, car parfois le Goncourt « tue » son auteur.

Il dénonce le verbiage des managers

Connemara c’est un peu Leurs enfants après eux vingt ans après. Ce roman est probablement le plus explicitement politique de Nicolas Mathieu. Il y décrit les méfaits des cabinets de conseil et leurs connivences avec le pouvoir. Il dénonce le verbiage des managers. Deux mois après sa sortie éclate le scandale McKinsey. Le Vosgien est un de ceux qui a le mieux expliqué les dangers des cabinets de conseil (ici). Il s’engage aujourd’hui contre la réforme des retraites en écrivant de longs posts sur son compte Instagram. Dans le dernier il explique pourquoi elle ne doit passer à aucun prix. C’est savant, intelligent, convainquant, et ancré dans nos quotidiens. Lisez-le il vous fera du bien.

Le post Instagram sur les retraites
Voilà, la grande bataille est lancée. Au-delà de ces deux années de travail supplémentaire qui sont l'enjeu de la réforme des retraites, il me semble que nous tenons ici une dernière occasion de mettre un coup d'arrêt à une politique dont au fond presque personne ne veut. Comme des millions de gens, j'ai voté deux fois pour Emmanuel Macron au 2d tour, et à aucun moment je n'ai considéré que ma voix allait à son programme. Quand je suis favorable à un barrage, ça ne présume en rien de la route à laquelle j'aspire. La situation institutionnelle et politique de notre pays fait que ce pouvoir est parfaitement légitime tout en n'ayant pour le soutenir qu'une assise populaire extrêmement étroite. Code du travail, assurance chômage, régime des retraites, privatisation d'ADP ou des autoroutes, il n'y a pas de majorité en France pour les chantiers tatcheriens qui sont portés par les derniers gouvernements. Le monde qui nous est promis, les Françaises et les Français n'en veulent pas. Ces réformes qui visent toutes la performance, la managerialisation des rapports humains, l'efficacité économique au détriment de la qualité de vie, les chiffres au détriment des êtres, ces réformes qui s'appuient sur un certain type de calcul pour nous faire accroire qu'elles sont inévitables, elles n'ont pour elles que ceux qui en tirent profit. A l'hôpital, à l'école, dans les entreprises, aux guichets des services publics, chacun sait de quelle manière ces mathématiques-là ruinent des vies, brisent des hommes, acculent des femmes et obliterent l'avenir des générations qui viennent. A Noël mon père a été victime d'un AVC. Il a attendu 12 heures aux urgences avant de pouvoir être pris en charge. Des exemples de cette nature sont légions. Nous en connaissons TOUTES ET TOUS. Tout ce qui avait été conçu après guerre pour permettre aux populations de mener des vies plus décentes et pour apaiser les tensions politiques inhérentes au fonctionnement du capitalisme est progressivement demantelé. Avec les mêmes effets que dans les années 30. Poussées des inégalités et des alternatives politiques extrêmes.
Cette bataille des retraites, elle n'est pas seulement le baroud d'honneur d'un peuple qui croit encore à la douceur de vivre. C'est aussi l'occasion historique pour nous d'affirmer que nous n'avons rien voulu du sort qui nous est fait, que la dette a trop servi et qu'il est temps de refonder nos possibilités d'existence collectives sur de nouvelles ressources, plutôt que d'anéantir, au motif que les caisses sont vides, ce qui pendant plus de 50 ans a garanti la paix en Europe et une certaine forme de bonheur dans notre pays. Que croyez-vous que coûteraient la victoire de l'extrême-droite, d'autres guerres, ou la rage d'une nation qui n'aurait plus de raison d'espérer ? Cette réforme ne doit passer à aucun prix.

Le podcast d’Arte Radio
https://www.arteradio.com/son/61665284/nicolas_mathieu_1_3

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