Troisième roman de Leïla Slimani, Le pays des autres atteste du très grand talent de cette jeune femme. Elle s’est cette fois lancée dans l’écriture d’une trilogie sur la décolonisation du Maroc, son pays d’origine. Une trilogie qui s’appuie pour beaucoup sur son histoire familiale. Dans ce premier volume, Leïla Slimani nous emmène à Meknès auprès d’Amine et de Mathilde, deux jeunes gens qui ne trouveront pas davantage leur place sur les terres d’Amine qu’ils n’auraient pu le faire en Alsace, là où ils s’étaient connus à la fin de la seconde guerre mondiale. C’est en libérateur de la France, qu’Amine fit son entrée dans la vie de Mathilde. Engagé volontaire au service d’un pays dont il respectait les valeurs. Un pays qui l’avait une première fois mobilisé en 1940 pour résister aux Nazis. Ce qui valut à Amine d’être fait prisonnier, puis d’être emmené dans un camp en Allemagne d’où il s’évada. Il retourna ensuite combattre comme engagé volontaire, libéra Mulhouse et épousa Mathilde, cette Alsacienne à qui la guerre avait volé sa jeunesse. Leur installation au Maroc se fit dans la douleur, car à Meknès Amine n’était plus le soldat fêté en Alsace, mais un Arabe qui s’était en plus marié avec une Française. Rien n’était simple pour eux. Ni la culture des terres stériles, qu’Amine ne parvient pas à rentabiliser. Ni leurs rapports avec une partie de sa famille, comme son frère qui ne peut admettre qu’Amine ne soutienne pas les projets d’indépendance des Marocains. Ni la vie aux côtés de colons français pour lesquels Amine restera toujours un Arabe.
La beauté du livre vient des contradictions des personnages, comme de la présence de ceux qui tentent de briser les conventions
Les rapports d’Amine et de Mathilde illustrent cette double appartenance communautaire. Si Amine avait pu boire de l’alcool et manger du porc en Alsace, il dénie le plus souvent à Mathilde le droit de donner son avis sur la vie de l’exploitation agricole, et la remet en place si nécessaire en la battant. Leur fille Aïcha étudie pourtant chez les sœurs, car sa mère tient absolument à ce qu’elle accède à l’éducation. Aïcha s’en sort parfaitement puisqu’elle a les meilleures notes de sa classe, ce qui n’améliore pas ses rapports avec les autres élèves toutes françaises de souche. Entre le racisme colonial et des Marocains qui n’accordent aucun droit aux femmes, et qui emploient parfois d’anciennes esclaves, il est décidément bien difficile de vivre à Meknès dans les années cinquante. Amine en souffre quand on le prend pour le chauffeur de Mathilde ou quand il ne parvient pas à obtenir un crédit bancaire. Mais il perpétue la tradition quand il s’agit de l’avenir de sa jeune sœur Selma. La beauté du livre vient des contradictions des personnages, comme de la présence de ceux qui tentent de briser les conventions. Les enseignantes catholiques d’Aïcha qui informent ses parents de ses immenses facilités à l’école. Ou Dragan Palosi, ce gynécologue hongrois qui fait affaire avec Amine dans la culture des fruits, tout en facilitant l’installation du dispensaire de Mathilde. Parce que le roman est d’abord l’histoire de sa grand-mère et de sa mère, Leïla Slimani accorde une grande place à Mathilde et à Aïcha, mais aussi à Selma. On a hâte de les retrouver dans la suite du roman.