Richard Morgiève n’est pas un écrivain comme les autres. Il n’est pas le plus connu malgré ses 35 bouquins et ses quelques prix littéraires. Mais il suscite souvent l’admiration de ses lecteurs. Sa première supportrice est son éditrice Joëlle Losfeld qui le soutien depuis le début. Richard Morgiève occupe chez moi une place à part parce qu’il est seul auteur que j’ai croisé parmi ceux que j’ai chroniqués. C’était il y a longtemps, je l’ai à peine côtoyé avant de le perdre de vue. Morgiève ne se présentait pas comme un auteur même s’il avait déjà publié plusieurs polars. Il vivait sa vie dans le XIe arrondissement et évoquait davantage avec ses copains son passé de débarrasseur de caves que ses bouquins. J’avais été modérément convaincu par la qualité de Gare indienne de la paix qui venait de sortir, ce qui montre au moins qu’il ne faut trop me faire confiance en matière d’écriture. Les quelques fois où je l’ai vu, Morgiève débordait d’une énergie qu’il tentait en vain de canaliser en courant notamment dans le Morvan ou en gagnant haut la narine un concours de longueur de nez. Puis j’ai lu Un petit homme de dos publié en 1988 dont j’ai écrit qu’il faisait partie des plus beaux romans d’amour. Que ce bouquin était peut-être même plus émouvant que Les Russkoffs de Cavanna alors que je vénère le Rital de Charlie Hebdo. Un petit homme de dos avait été longtemps remisé avant de réapparaître pour éblouir ses lecteurs avec une magnifique histoire de filiation. La fête des mères partage beaucoup de ces caractéristiques. Ce roman a lui aussi végété avant d’être proposé dans sa version actuelle. C’est Jacques Bauchot, une ancienne connaissance de Morgiève qui lui a un jour demandé d’écrire sa biographie. Morgiève avait fini par se reconnaître dans son histoire et en avait fait un roman publié sous le nom de Bauchot chez Renaud Delourme. Échec total en termes de ventes, oubli du livre, avant que Morgiève ne se l’approprie à nouveau en 2022, le retravaille et le sorte sous son nom.
On écoute du rock et du blues anglais sur des Teppaz
C’est surtout la recherche de la filiation, des parents, de l’identité que les deux livres partagent. Celle du père dans Un petit homme de dos et de la mère dans La fête des mères. Une mère très belle, toxique, qui ne cesse de quémander l’admiration de son fils à coups de « Ça me va ? ». L’histoire nous emmène dans un milieu aisé, catholique. On croise au gré des sorties Lino Ventura au volant de sa voiture. On écoute du rock et du blues anglais sur des Teppaz, on fredonne Black trombone de Gainsbourg. Le récit est au début plutôt lent pour mieux nous faire découvrir les personnages. Jacques a un faible pour le gruyère râpé comme Morgiève en avait un avec sa fille pour le saint-marcellin dans Andrée. À l’école on boit le lait de Mendès France. Jacques tente de comprendre la judaïcité qu’on lui prête. Puis tout s’emballe, la maladie surgit, il faut lutter, l’amour réapparaît au sein de la tribu Bauchot. On s’accroche à Jacques jusqu’en Amérique, en Afrique, et en Provence, à s’en lever tôt le matin pour connaître la fin. Morgiève n’a encore une fois pas été retenu pour les principaux prix littéraires. Est-ce injuste ? Il faudrait tellement lire pour répondre à la question. Mais comme beaucoup de ceux qui ont profité de ce roman, si vous le lisez, vous vous en souviendrez.
Sa mère leur mène la vie dure en composant des menus spartiates
Jacques Bauchot a dix ans, il entend sa mère traiter son père de pauvre pisseur. C’est à ce moment qu’il se rend compte qu’il ne l’aime pas comme son père. Peut-être même ne l’a-t-il jamais aimée. Jacques fait partie d’une famille versaillaise des années soixante. Il a trois frères, Pierre-Henri alias Malraux son frère aîné et Paul son cadet qu’on appelle aussi La Mouette. Antoine est encore un bébé, il ne compte pas, ce qui n’empêche pas Jacques de le détester car il lui vole sa mère. Le statut social de la famille transparaît dans le logement à deux niveaux et dans la présence d’Yvette la cuisinière qui est aussi affectueuse avec Jacques que sa mère est froide. Riches ils ne l’ont pas toujours été, mais son père est désormais banquier d’affaires. La famille est tout sauf unie. À dix ans Jacques ne partage rien avec Pierre et Paul. Son frère aîné est violent avec lui, il le traite de Juif et l’appelle Jacob. Sa mère leur mène la vie dure en composant des menus spartiates selon le principe que « Il vaut mieux deux maigres qu’un obèse ». Son père ne dit rien, il a pourtant eu faim dans les camps de concentration. Sa mère ne tolère que les livres scolaires et la Bible dans la chambre de ses fils. Pas de télévision pour que la dépravation ne sorte pas du tube. Et s’il y a bien deux robinets à la douche ils ne distribuent que de l’eau froide.
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/La-fete-des-meres.html
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