Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Le barman du Ritz, Philippe Collin, Éditions Albin Michel

Mai 1, 2024 #Albin Michel

13 juin 1940, les Allemands avancent. L’exode des Parisiens est en cours, on brûle les dossiers dans les ministères, le gouvernement s’est réfugié à Bordeaux. Toutefois place Vendôme au sein du grand hôtel Ritz, le Petit Bar reste ouvert. C’est la citadelle de Frank Meier un Autrichien de naissance adulé dans toute l’Europe du luxe pour ses cocktails. Un jour avant l’arrivée des Nazis dans la capitale, avant que le Ritz ne devienne la résidence du gouverneur militaire en France, l’homme cache un secret : il est juif. Celui qui se définit comme un prolétaire est né dans le Tyrol autrichien. Son père avait fui les pogroms de Lodz et décidé que plus personne dans sa descendance ne serait un enfant d’Israël. N’en déplaise à sa femme qui était la fille d’un petit rabbin de Budapest. À quatorze ans Frank a quitté sa famille et s’est embarqué sur un vapeur pour New York où il subsista avec la nourriture que lui jetaient les riches passagers. Il débuta en 1902 dans le métier de barman à Broadway dans un des endroits les plus réputés de la ville. Cinq ans après il revint en Europe et créa son premier bar à Paris. En 1914 il s’engagea dans la Légion étrangère, échappa par miracle à la mort, se maria, puis entra au Ritz en 1921 et ne quitta plus ce lieu dévolu au plaisir des grands bourgeois. Quelle que soit leur nationalité.

Le roi des cocktails en a vu du monde devant son bar

Le barman du Ritz est le premier podcast à lire de Philippe Collin. Après avoir raconté les vies de Blum, Pétain puis celle de Céline, le producteur de radio poursuit son récit de la première partie du XXe siècle avec celle de Frank Meier. Si la notoriété de cet Ashkénaze né en 1884 ne peut être comparée à celle de ces personnalités, il n’en a pas moins occupé une place privilégiée pour nous aider à comprendre ce que fut la collaboration d’une partie de la bourgeoisie française. Car de 1940 à 1944 le roi des cocktails en a vu du monde devant son bar. Des Allemands parmi les plus gradés, et beaucoup de Français qui les fréquentaient sans aucune gêne. Le Reichsmarschall Göring y fit un fructueux passage pour piller tout ce qu’il pouvait à Paris. Les deux commandants en chef des troupes d’occupation en France Otto et Carl-Heinrich von Stülpnagel y avaient leurs habitudes. Côté français les artistes tels Cocteau, Guitry, Arletty et Lifar n’ont jamais interrompu leurs visites. Puis ce fut le temps des pires crapules comme Laffont qui deviendra Hauptsturmführer de la SS. Ou encore l’interlope ferrailleur Joanovici dont Alphonse Boudard a raconté la vie (ici).

Si les Parisiens luttaient pour se réchauffer et se nourrir, on se gavait au Ritz

Les patrons du Ritz n’étaient pas en reste, eux qui de l’arrivée des Allemands à celle des Américains n’ont toujours eu qu’une obsession : gagner de l’argent. Ils avaient pour cela une imagination sans limite. Ils avaient ainsi embauché des cyclistes pour produire l’électricité nécessaire aux bigoudis des rombières. De tout cela Meier s’est parfaitement accommodé. Il a traversé la période en se préservant tout en faisant ce qu’il fallait pour porter secours à certains de ses proches. Partisan de Pétain comme beaucoup de Français au début de l’occupation, il en vint à détester ceux qui faisaient régner la terreur. N’oubliant pas au passage de se servir. Car c’est peu dire que l’alcool et la nourriture, comme les faux papiers circulaient dans son bar. Si les Parisiens luttaient pour se réchauffer et se nourrir, on se gavait au Ritz comme dans ce repas de 1942 où l’établissement avait servi du colin princesse, du filet de bœuf sauce financière, de la poularde Mireille et une bombe Coppélia. Sans parler des boissons que celui qui se considérait encore prolo, et qui roulait en Bentley au début de la guerre, savait préparer comme aucun autre. Pour le Pompadour, du rhum, du pineau des Charentes, un jus de citron. Trois ingrédients seulement mais une saveur inouïe.

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

2 thoughts on “Le barman du Ritz, Philippe Collin, Éditions Albin Michel”
  1. En te lisant, me vient à l’esprit ce bon mot des surréalistes : “un cocktail, des Cocteau.”
    Un personnage original ce Frank Meier, comme on en croise souvent dans cette époque et un P. Collin qui nous ravit à chaque fois. Je recommande vivement sa dernière série sur Céline.
    Merci Laurent.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *