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Le blog de Laurent Bisault

Le charlisme, Daniel Schneidermann, Éditions du Seuil

Jan 19, 2025 #Le Seuil

« C’est l’histoire d’un petit canard de caricatures bête et méchant, qui ne demandait qu’à rire et picoler, soudain promu symbole mondial de la liberté d’expression contre l’obscurantisme, invité en smoking dans festivals, colloques et avant-premières autour du monde. C’est l’histoire d’une bande d’anars qui conchiaient les militaires, les flics, les politiciens et la pub, et qui deviennent eux-mêmes, protégés par la police, l’emblème de la liberté de la presse. C’est l’histoire d’un combat contre toutes les censures de tous les puissants, qui mute en résistance acharnée contre un morceau de tissu sur la tête des adolescentes de banlieue. C’est l’histoire d’un rire de Jean Cabu qui se tord en grimace de Philippe Val. D’un éclat de rire qui s’étrangle dans les gorges. C’est une histoire à se tordre, et mourir. Imagine : tu as été Charlie avant l’injonction officielle, comme toute une génération, la mienne. Nous avons même été follement Charlie. Et nous voici aujourd’hui devant une mutation imprévisible que nous sommes tentés d’appeler, pour l’instant, le charlisme. Il me semble que cette histoire se raconte. ». C’est l’histoire d’un journaliste Daniel Schneidermann, fauché le 7 janvier 2015 par l’annonce de l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo. À ce moment il est Charlie sans « aucun mais ».

Guillaume Meurice assimile sur France Inter le Premier ministre israélien à « une sorte de nazi sans prépuce »

Huit années et demie plus tard, des éléments du Hamas succèdent aux frères Kouachi comme acteurs de l’horreur. Ils tuent, violent, capturent des otages quelque part en Israël non loin de la bande Gaza. En retour « la civilisation bombarde, extermine, réduit en miettes ». Faut-il les renvoyer dos-à-dos ? Non répond une voix qu’on n’a pas fini d’entendre, celle de Caroline Fourest. Après trois semaines de bombardements sur Gaza Guillaume Meurice assimile sur France Inter le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à « une sorte de nazi sans prépuce ». Aussitôt Riss le directeur de Charlie fait savoir que « L’esprit Charlie, ce n’est pas une poubelle que l’on sort du placard quand ça vous arrange pour y jeter ses propres cochonneries ». Sommé de s’expliquer par sa directrice, Meurice refuse arguant qu’une blague ne s’explique pas. La justice lui donne raison en refusant de considérer sa chronique comme un appel ou une exhortation à la haine. Meurice réitère sa comparaison à l’antenne, et il est licencié le 7 juillet 2024.

« C’est dur d’être aimé par des cons »C’est dur d’être aimé par des cons »

Le charlisme [raconté à ceux qui ont aimé Charlie] c’est l’histoire d’un journal qui s’est profondément transformé depuis sa création. Il fut d’abord Hara-Kiri interdit en 1970 pour avoir titré « Bal tragique à Colombey, un mort », suite au décès du général de Gaulle. Aussitôt retirée des kiosques, aussitôt transformée en Charlie, cette version originelle était notamment celle de Cavanna, Choron, Wolinski et Cabu. Abandonné par ses lecteurs, le journal se saborde en 1982. La seconde version date de 1992 quand Philippe Val rachète le titre, repart avec certains anciens tels Cavanna et Cabu, et concocte une publication principalement centrée sur l’actualité politique. C’est après le 11 novembre 2001 que tout change avec l’apparition de Ben Laden dans les pages de Charlie. Cinq ans encore et le journal publie les caricatures de Mahomet, dont celle de Cabu qui entre dans l’histoire avec son titre « C’est dur d’être aimé par des cons ». Dès lors la priorité de Val est de défendre les valeurs universelles telles qu’elles sont perçues aux États-Unis. La parole du journal est de plus en plus celle de ses proches comme Caroline Fourest et Ricard Malka l’avocat du journal. La période est celle des crispations internes car beaucoup sont en désaccord avec Val qui impose en plus ses logorrhées pendant les conférences de rédaction. En 2008 Val licencie l’historique dessinateur Siné qu’il accuse d’antisémitisme. L’affaire se règle en justice au profit de Siné qui gagne devant deux tribunaux. Cavanna dira à propos de Val qu’il n’avait pas vu en lui un ambitieux qui visait très haut. En 2009 Val s’en va, et Charb lui succède jusqu’aux attentats de janvier 2015. Survivant miraculeux Riss est depuis le directeur de la publication ainsi que l’actionnaire majoritaire.

La version actuelle porte les mêmes messages qu’Enthoven et Fourest

Pour Daniel Schneidermann Charlie est désormais un porte-plume du Printemps républicain, ce mouvement créé par d’anciens socialistes après les attentats de 2015 afin de lutter contre l’islamisme. Le charlisme se veut au service des femmes iraniennes, il défend le droit d’Israël à se défendre, rejette l’abaya, il lutte contre l’islam radical. Loin des anars qui de Cavanna, à Reiser ou Gébé incarnaient le journal à sa création, la version actuelle porte les mêmes messages qu’Enthoven, Fourest, Rachel Khan, Christophe Barbier, Tristane Banon ou Adèle Van Reeth la directrice de France Inter, soit autant de défenseurs forcenés du gouvernement israélien. Le charlisme c’est un réseau qui comme Sophie Aram est obsédé par le Rassemblement national et la France insoumise, et ne s’attaque jamais à Macron. Ce sont des personnes qui se reconnaissent dans le dessin de Riss daté de 2016, quand il se demandait à propos de ce jeune garçon kurde retrouvé mort sur une plage : « Que serait devenu le petit Aylan s’il avait grandi ? ». Avant de répondre en le dessinant adulte en triporteur de fesse en Allemagne.

Sans Bernard Maris Charlie ne m’intéressait plus

J’ai idolâtré le Charlie créé par Philippe Val. Ma venue dans leurs locaux en 2008 à l’invitation de Bernard Maris a constitué pour moi la quintessence de ma carrière professionnelle. Je me suis progressivement détaché du journal après les attentats de 2015. Parce que sans Charb, Cabu, ni Luz qui en était parti, et surtout sans Bernard Maris, Charlie ne m’intéressait plus. Comme l’a récemment dit le grand philosophe Thomas VDB, faire tourner Charlie sans ses disparus c’est un peu comme si après la mort de Lennon, McCartney et Harrison, Ringo Starr nous disait : je continue quand même Les Beatles ! Je ne devrais plus me préoccuper de la ligne de ce journal qui n’est plus le mien. Mais constater comment il a basculé du côté de ceux que je considère infréquentables me trouble profondément. Libre à Riss de voir qui il veut, mais peut-être devrait-il changer le titre de son journal qui appartient quand même encore un peu à ceux qui l’ont aimé. Libre à lui de refuser tout débat en interne comme l’a raconté récemment Gilles Raveaud, l’économiste qui succéda à Maris en 2015, avant de libérer sa place récemment. Libre à Riss d’avoir oublié ou réfuté toute critique de gauche du macronisme. Mais de là à nier un génocide qui se déroule sous nos yeux, c’est trop.

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