Troisième volet de la trilogie bostonienne de Denis Lehane, Ce monde disparu ne dépare les deux premiers volets Un pays à l’aube et Ils vivent la nuit. C’est un bouquin envoûtant, dans lequel on rentre dès les premières pages, en se demandant comment font certains auteurs pour nous captiver alors que tant de livres nous tombent des mains. Sans doute faudrait-il évoquer ici le talent de Dennis Lehane, sa capacité à nous raconter des histoires et plus généralement le genre du livre, car un roman policier emmerdant constitue fondamentalement un non-sens On retrouve dans ce troisième volume Joe Coughlin en 1943, presque dix ans après la mort de son épouse Graciela, en compagnie de son fils Tomas. Il a cédé le poste de chef de la mafia à Tempa à son frère d’armes Dion Bartolo, qu’il côtoie depuis leurs débuts communs dans le dangereux métier de gangster à Boston. Joe n’est pas complètement rangé des voitures puisque qu’il est quand même le consigliere de la famille Bartolo. C’est-à-dire son conseiller tout en étant aussi associé à Meyer Lansky à Cuba, ce qui relativise quand même son éloignement de l’Organisation. En ces temps de guerre, la mafia déplore que le gouvernement américain lui ait retiré tant de clients en les envoyant en Europe ou dans le Pacifique. Allez donc avec ça faire tourner le business des filles, de la drogue, des loteries ou même la récupération des assurances sur la vie que chaque bon commerçant est invité à payer pour assurer son avenir économique. Heureusement que la Famille avait anticipé ces difficultés en stockant de l’alcool industriel, qui se révélera tellement utile à l’armée américaine pour fabriquer du caoutchouc synthétique, quand les Japonais auront mis la main sur les circuits d’approvisionnement du caoutchouc naturel dans le Pacifique. Et pour attester encore un peu plus du côté incontournable des gangsters, quoi de mieux pour le renseignement militaire que de s’appuyer sur ceux qui contrôlent les docks pour repérer les espions allemands ?
Son personnage n’en devient que plus intéressant, lui qui doit sa survie bien plus à son intelligence qu’à son calibre
Dès le début du roman une rumeur vient troubler la relative tranquillité de Coughlin. Un commanditaire aurait mis sur sa tête un contrat pour une exécution prévue le mercredi des Cendres. Allez-donc dans ces conditions profiter de l’argent que vous avez amassé, parce que des ennemis potentiels, Joe n’en manque pas. Anciens rivaux écartés, concurrents en quête de nouveaux territoires, pervers en tout genre que l’on ne manque pas de croiser dans son métier, élu corrompu ce qui à l’époque constitue un pléonasme. Sans parler de l’Organisation elle-même, qui si elle clame haut et fort qu’elle ne s’attaque ni aux femmes ni aux enfants, ne connait pas de limites quand son intérêt est en jeu. Ce monde disparu n’est toutefois pas qu’un roman policier. Pas non plus un récit où ça défouraille à tout-va. C’est une histoire qui accorde une large place à la psychologie de Joe Coughlin, à ses rapports avec son fils. Et pour cause car la filiation joue un rôle important dans la trilogie, Joe ayant quitté sa famille pour la remplacer par la mafia. Son personnage n’en devient que plus intéressant, lui qui doit sa survie bien plus à son intelligence qu’à son calibre. Un peu comme Meyer Lansky, avec qui il partage une autre caractéristique : aucun n’est d’origine italienne, ce qui ne les a pas empêchés de diriger pendant des années tout ou partie de la mafia américaine. Coughlin va mener son enquête en vivant sa liaison avec la femme du maire. Une preuve si l’en était du bon goût du personnage, mais ce qui constitue une source d’ennuis supplémentaire pour l’Irlandais. Avec tout cela, il ne faut pas s’étonner que la tension ne cesse de monter en attendant ce fameux mercredi.