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Le blog de Laurent Bisault

Plutôt nourrir, Clément Osé et Noémie Calais, Editions Tana

Nov 15, 2023 #Tana

Qui l’aurait imaginée à la tête d’un élevage de porc du Gers ? Assurément pas Clément Osé qui avait croisé Noémie Calais onze années plus tôt à Sciences Po, avant qu’elle ne s’envole vers de lointaines contrées pratiquer le conseil en développement international. C’est Noémie qui lui avait écrit il y a quatre ans pour lui dire qu’ils étaient désormais presque voisins. Clément venait de rejoindre une ferme collective. C’est ainsi qu’est né le livre. De leurs retrouvailles et de leurs volontés de faire connaître le travail des petits éleveurs, de leurs souhaits de sortir du débat manichéen « pour ou contre l’élevage ». Les porcs elle les a installés dans des cabanes qui donnent accès à une courette et à un parc que les animaux fréquentent en fonction de leurs envies. Contrairement au modèle agricole choisi par les condisciples de Clément, Noémie élève ses animaux pour les vendre. Ils naissent à la ferme, ils y restent de douze à quatorze mois, Noémie les mène à l’abattoir, avant de récupérer les carcasses dans la coopérative fondée avec d’autres éleveurs pour les découper et les transformer. Elle vend le fruit de son travail sur les marchés.

C’est une démarche cohérente pour retrouver une agriculture sensée

C’est un récit exceptionnel que nous proposent Clément Osé et Noémie Calais. Un livre couronné du prix « Mange, Livre 2023 !», attribué à un ouvrage mettant en avant l’alimentation issue de pratiques respectueuses de la nature et incitant à manger mieux. Plutôt nourrir c’est le parcours d’une néorurale qui se lance seule dans l’élevage bio des porcs noirs. Ce sont ses espoirs, son projet, les difficultés du métier, les fatigues du corps qui plie sous la multiplicité des tâches. C’est une démarche cohérente pour retrouver une agriculture sensée, bien loin des productions intensives qui nuisent à la terre, aux animaux, aux agriculteurs comme aux consommateurs. Ce sont des obstacles sans fin, toujours renouvelés, mais aussi les solidarités qui se mettent en place. Coopérer c’est ce qui a motivé Noémie dans ce coin du Gers. À côté d’autres agriculteurs qui la font profiter de légumes avariés, du petit-lait, et à qui elle donne en retour du fumier. À proximité d’un brasseur qui la fournit en drêches. Auprès de Catherine ancienne éleveuse de porcs en intensif, qui est toujours disponible pour lui donner un coup de main. Et tous les autres avec qui elle mange le midi. En agissant ainsi Noémie redonne aux porcs leur rôle traditionnel : celui d’un animal qui recycle tout en produisant de la viande.

Les bâtiments sont mis à « rut épreuve » pendant la saillie

Pour y parvenir il lui a fallu surmonter bien des obstacles. Construire les cabanes pour assurer le bien-être de ses animaux. Rien à voir avec l’environnement concentrationnaire des élevages industriels où les porcs sont sur caillebotis au-dessus d’une fosse à lisier, où les truies sont attachées pour ne pas écraser les porcelets et les dents limées, où on a parfois relevé des cas de cannibalisme. Chez Noémie les cochons sont sur de la paille ce qui nuit à la productivité mais procure du confort. Les bâtiments doivent être solides car ils sont mis à « rut épreuve » pendant la saillie. Dans ces conditions les animaux s’apaisent et les truies arrivent quand elle les appelle par leur prénom. Noémie a dû faire fi du sexisme des formateurs en charcuterie. Elle endure le froid de l’atelier de transformation. Pour se consolider psychiquement elle a fini par abandonner sa yourte pour une colocation à Auch. Elle a planté mille trois cents arbres pour embellir le paysage de ceux qui lui succéderont », pour envoyer les cochons pâturer entre les haies touffues, améliorer les sols et limiter leurs glissements en cas de pluies diluviennes.

Les porcs bios élevés en plein air ne représentent que 0,5 % des cochons

Noémie n’aime pas qu’on lui reproche d’envoyer à la mort ses animaux. Elle souhaiterait certes les abattre elle-même à la ferme, mais elle doit se contenter de les envoyer à Boulogne-sur-Gesse à une cinquantaine de kilomètres au sud de son exploitation. L’allongement des distances, qui va de pair avec la disparition des petits abattoirs, répond à des exigences économiques car la mise aux normes coûte cher. Elle permet aussi de cacher la mort aux citadins. Noémie s’était dit au début qu’elle deviendrait végétarienne et même végane si elle n’était pas capable de tuer ses animaux. Alors elle a essayé et elle a réussi. Quand on lui dit que ses animaux contribuent au réchauffement climatique, elle répond que les porcs bios élevés en plein air ne représentent que 0,5 % des cochons. Les siens sont des porcs noirs, une variété dont les portées sont deux fois plus réduites, ils grandissent deux fois plus lentement, avec beaucoup de gras difficile à valoriser. Sans oublier le prix des aliments bios. Elle les a d’ailleurs abandonnés ces derniers temps en diminuant son cheptel. Choisir le porc noir a permis à Noémie de contribuer à la préservation d’une race qui a failli disparaître, et de multiplier les saveurs dont nous bénéficions. Car Noémie vend ses cochons sur place et non à de grands restaurants pour restituer à ceux qui l’entourent un peu de ce qu’ils lui ont donné.

Viandes fraîches, saucisses, boudins, pâté de porc noir et de chèvre

La prochaine fois que je me rendrai à Auch en vélo, forcément un jour de vent d’Autan pour qu’il me pousse, j’irai peut-être fureter à La Bourdette là où grandissent les porcs de Noémie. Le hameau est situé à proximité de mon itinéraire habituel quand je descends de Nougaroulet vers le chef-lieu gersois. Ce qui est certain c’est que je m’arrêterai comme j’en ai l’habitude à mi-parcours à Mauvezin pour prendre un café. La bastide est plaisante et sous les arcades de la place centrale on y trouve le samedi matin un marché de producteurs. Noémie y vend des viandes fraîches, des saucisses, du boudin, des pâtés de porc noir et de chèvre. Parfois même des jarrets confits et des salaisons. Nul besoin de s’empiffrer il faut savoir savourer ce qui est obtenu avec tant d’amour. J’aurai pris soin de passer ma commande sur le site de Noémie (ici). Parce qu’il est encore temps de changer nos habitudes.

Bernard Maris et Charb aussi aimaient les cochons

4 thoughts on “Plutôt nourrir, Clément Osé et Noémie Calais, Editions Tana”
  1. Oui super chronique qui m’a fait bien rire ! c’est vrai, on vit dans un monde formidable
    françoise

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