Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Brigantessa, Guiseppe Catozzella, Éditions Buchet Chastel

Déc 3, 2023 #Buchet Chastel

Depuis deux ans elle ressemble davantage à une louve qu’à un homme. Celle qu’on appelle la terrible Ciccilia, la brigande calabraise recherchée par les bersagliers venus du Nord, qui s’en prennent aux Méridionaux assoiffés de libertés. Elle s’est réfugiée dans une grotte où elle peut faire du feu, se nourrir de ce qu’elle a attrapé à mains nues ou avec une ligne dans la rivière, boire l’eau de pluie. Elle était jusque-là protégée par les chemins que seuls les locaux connaissaient, mais ils ont commencé à embaucher des bergers, des bûcherons, des charbonniers et ils l’ont trouvée. Enfant quand elle s’appelait encore Maria Oliverio elle n’était déjà pas comme les autres. Elle avait voulu partir à la recherche de sa sœur aînée Teresa qui n’avait jamais vécu avec eux, et dont il était interdit de parler à la maison. Ils habitaient à Casole Bruzio au centre de la Calabre. Son père travaillait comme journalier pour le compte des « messieurs » ce qui n’était pas suffisant pour dissiper la faim surtout chez son frère aîné. Sa mère tissait à domicile des broderies pour les filatures des Gullo qui étaient célèbres dans tout le royaume des Deux-Siciles. En mai 1858 la comtesse était passée voir sa mère et lui avait donné des nouvelles de Teresa. Elle avait certes résidé chez le couple de nobles de Campanie à qui ses parents avaient été contraints de la céder sous peine pour son père de perdre son travail. Mais ses parents adoptifs étaient morts dans le grand mouvement d’émancipation qui traversait le pays et qui allait conduire le roi de Sardaigne à unifier l’Italie. C’est ce jour que Maria apprit que Teresa allait revenir et qu’elle ne rejoindrait donc jamais sa sœur aînée comme ses parents l’avaient envisagé.

Brigantessa vient d’obtenir le prix 2023 des lecteurs du Festival des littératures européennes de Cognac

On peut le tourner dans tous les sens, rien ne vaut les romans du Sud de l’Italie pour nous emporter dans des histoires ensorcelantes. Elles viennent souvent de Sicile sous les plumes d’écrivains tels Tomasi Di Lampedusa avec Le Guépard, Stefania Auci et sa trilogie des Lions de Sicile, Jean-Pierre Cabanes et sa Rhapsodie italienne ou encore Alfio Caruso et son Willy Melodia. Cette fois c’est de l’autre côté du Détroit de Messine, en Calabre, sur le plateau de la Silva, que nous emmène Giuseppe Catozzella un auteur par ailleurs reporter de guerre. Il nous raconte la vie d’une jeune paysanne qui va se révolter et devenir la première Italienne condamnée à mort. Ça se passe au mitan du XVIIIe siècle, pendant le Risorgimento c’est-à-dire l’unification italienne. Brigantessa vient d’obtenir le prix 2023 des lecteurs du Festival des littératures européennes de Cognac et c’est amplement mérité. Ce livre est une merveille sans doute parce qu’il allie une description aiguë de la société calabraise à un formidable portrait de son héroïne. Côté analyse historique Catozzella nous raconte la fin des Bourbons et des nobles qui y étaient attachés. Ces grands propriétaires plient sous le double assaut des Libéraux et des paysans. Mais comme toujours les plus pauvres, ceux qui s’engagent en espérant la redistribution des terres promise par Garibaldi, sont les dindons de l’histoire. « Il faut que tout change pour que rien ne change » disait le prince de Salina dans Le Guépard. C’est exactement ce qui se passe en Calabre où les Libéraux vont prendre le pouvoir sans que les paysans en bénéficient. C’est même le contraire qui se passe avec l’arrivée des soldats du Nord qui vont se montrer d’une incroyable cruauté.

Les habitants du plateau de Sila n’ont droit à rien 

Côté personnages on a de très beaux portraits de Maria et de sa famille. Pas de cucina povera chez eux, car ils ont à peine de quoi manger. Ils n’améliorent l’ordinaire que pour les mariages. La famille vit dans une masure qui devient trop petite avec l’arrivée de Teresa. On envoie donc Maria chez sa tante, dans une cabane à l’orée du bois envahie par l’odeur des animaux. Son oncle ancien cordonnier surnommé Tremble-Terre en raison de sa force se cache dans la montagne. Il attaque avec ses compagnons les propriétés des bourgeois et des nobles et partage le butin avec les paysans. Dans ce monde soumis, les habitants du plateau de Sila n’ont droit à rien et ils risquent de finir en prison s’ils coupent du bois, ramassent des châtaignes, des pommes de pin ou des feuilles mortes. Les nouvelles conditions de vie sont rudes pour Maria mais aux côtés de sa tante elle découvre l’air pur, la faune, geais, milans, autours, et elle entend le hurlement du loup. Celle qui deviendra Ciccilia, célèbre au point qu’Alexandre Dumas racontera sa vie en sept épisodes dans le journal L’Indipendente, est d’autant plus mal partie qu’elle devra affronter la haine de sa sœur Teresa. En tant que femme elle devra aussi subir les coups de Pietro le charbonnier qui l’épousera. Mais la révolte est chez elle si forte qu’il faudra beaucoup de temps et d’énergie pour la réduire au silence.

Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/?page=q&recherche=brigantessa

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

One thought on “Brigantessa, Guiseppe Catozzella, Éditions Buchet Chastel”

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *