Marigot, village maritime au sud de Haïti, 1950. Une voiture s’arrête et annonce que les planteurs de la Dominicanie recrutent des hommes et des femmes pour la saison de la canne à sucre. Maria Carmen et André en seront, elle laisse donc son bébé Petit Louis à sa mère à qui elle n’a pas donné le choix. Le voyage dans un tap-tap brinquebalant les amène à Port au Prince, puis à la frontière où ils sont choisis par un recruteur comme dans un marché aux esclaves. Un comble pour les habitants d’un pays qui avait été le premier à se débarrasser de cette soumission en se séparant de ses colonisateurs. Ils repartent en camion cette fois jusqu’à Lecheria. Fin du voyage, tri des arrivants. L’odeur d’excréments et de pourriture recouvre tout. Les couples ont droit à un taudis de planches et de torchis, pour la cuisine et les besoins c’est dehors. Celles qui sont arrivées seules partent directement au bordel. Malgré tout les femmes érigent des solidarités au sein du campement, le batey. Elles sont coiffeuses, infirmières, sages-femmes, elles lavent le linge, font à manger en s’approvisionnant à prix d’or au seul magasin, celui de la compagnie. Elles s’occupent des laissés pour compte. Partir est impossible, les Haïtiens n’ont pas de papiers ni d’argent. Certains sont endettés auprès de la compagnie.
Elle est la seule Haïtienne et la seule Noire
Maria Carmen et André sont là depuis onze années quand arrive leur cinquième enfant. Elle s’appelle Sonia Pierre mais l’officier d’état civil inscrit Somain Pie sur son registre. Cela n’empêchera pas la nouvelle venue de rentrer dans l’histoire. C’est la rencontre d’un missionnaire québécois le père Anselme qui permet à Sonia de fuir le batey. Il avait identifié ses capacités à apprendre quand il initiait les gamins à la lecture et à l’écriture. Il convainc ses parents de l’inscrire au collège en payant lui-même la scolarité. Sonia se fait là encore remarquer par ses capacités mais aussi parce qu’elle est la seule Haïtienne et la seule Noire. À onze ans Sonia vit dans deux mondes : avec les Dominicaines de son âge le jour, au batey le reste du temps. À treize ans elle devient celle qui porte la manifestation des ouvriers de la canne. Celle qui contribue à l’obtention de meilleurs salaires, une rémunération plus juste, et de la peinture pour retaper les cases. Et ce n’est pas fini.
Avec Sonia Pierre Catherine Bardon est servie
« Ce roman est une dette envers une femme que je n’ai pas connue. Il retrace le destin hors du commun de cette avocate des droits humains, rarement mise en lumière. Il raconte le parcours d’une femme exceptionnelle, opiniâtre et discrète, habitée par une cause qu’elle a défendue au prix de sa vie. ». C’est ce qu’écrit Catherine Bardon dans la postface de son sixième roman, les cinq autres étant chroniqués sur ce blog. Une femme debout s’inscrit dans la lignée des précédents qui se déroulent également en République dominicaine, et qui célèbrent aussi des fortes femmes. Almah et Ruth dans la saga des Déracinés ( 1, 2, 3, 4) et Flor dans La fille de l’ogre. Avec Sonia Pierre Catherine Bardon est servie. Pensez donc, une fille d’immigrants haïtiens qui parvient à s’extirper d’une situation de quasi-esclavage et qui consacre sa vie à lutter contre l’invisibilité des Dominicains d’origine haïtienne. À la clef de belles réussites dont plusieurs récompenses internationales comme le prix international de la Femme de courage, qui lui fut remis par Michelle Obama et Hillary Clinton elles aussi avocates. On avait également parlé pour elle du prix Nobel de la paix.
Haïti un pays essoré par les indemnisations payées à la France
En République dominicaine son succès fut plus mitigé ses acquis ayant été éternellement remis en cause par le pouvoir. Sonia Pierre y a pourtant œuvré après la disparition des dictateurs Trujillo et Balaguer, mais la haine vouée aux Haïtiens y a perduré. Elle remonte à loin, 1805 et l’invasion de la partie orientale de l’île par les Haïtiens et les massacres qu’ils ont commis. Bien d’autres éléments ont entretenu le conflit comme la politique des compagnies sucrières. La décrépitude de Haïti un des pays les plus pauvres au monde, essoré par les indemnisations payées à la France jusqu’à la moitié du vingtième siècle, ravagé par la déforestation et les tremblements de terre, n’a rien arrangé. Malgré les menaces et les coups Sonia Pierre n’a rien lâché jusqu’à sa mort en 2011 à quarante-huit ans, affaiblie par une faiblesse cardiaque, incapable de s’économiser. Son œuvre n’est pas terminée. En République dominicaine subsistent des bateyes devenus des quartiers où aucun touriste ne s’aventure.
Qu’en dit Bibliosurf ?
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