« Question toilettes sèches, Antoine Percier se considérait à juste titre comme un expert ». Normal, il avait l’engagement écologique chevillé au corps. Son chauffe-eau solaire, fabriqué avec des fûts réformés qui distillait au compte-gouttes de l’eau rouillée tiède ou froide, en témoignait. Dommage quand même qu’il n’ait pas eu plus souvent le courage de vider sa tinette dans le compost. Antoine n’était pas gâté par la vie, des dents pourries, une moustache roussâtre qui le faisait davantage ressembler à un rat qu’à un dictateur. Un parcours professionnel parsemé d’échecs, cariste dans une cimenterie, abonné au chômage, faucheur volontaire de maïs OGM pour le plus grand bonheur des porteurs de matraques. Heureusement il allait se refaire. Antoine était sur un coup de plusieurs millions d’euros pour oublier son RSA de miséreux. Pas un casse, un super coup que son pote Canard lui avait amené. Un coup sans violence au succès garanti que Canard avait dégoté dans la maison de santé où il bossait. Un établissement accueillant de joyeux dingos dont Julien Dastry, frère jumeau de Thibault Dastry manager de l’année et patron du CAC 40. Pas un méchant Julien, Canard disait de lui qu’il lui manquait un petit quart d’heure de cuisson. Alors quicéqui qu’allaient se pointer à la banque de Genève en compagnie du demeuré, sapé comme son manager de frère pour mieux encore lui ressembler, et vider le compte du richard de la famille ?
Fini l’assistanat
Seule difficulté encore non résolue : il fallait être trois. Or Canard, le cuistot au physique de lémurien, ancien des hôpitaux psychiatriques côté client, était dubitatif sur les capacités de Jean-Jacques, une connaissance qu’Antoine avait garantie. Même qu’il était de gôche. Son passé plaidait pour lui. Le Jean-Jacques avait animé des stages « Apiculture et méditation » travesti en shaman. Ce qui lui avait au moins permis de séduire quelques participantes et de vanter les avantages de son dard. Après avoir fait son miel de la jeune Mélanie qu’il butinait à foison, le quinqua se retrouva fort dépourvu quand sa compagne danoise Birgit le vira. Elles sont comme ça les Vikings. Égoïstes, rancunières, indifférentes au malheur des autres. Sous le fallacieux prétexte qu’elle avait tout payé depuis qu’ils vivaient ensemble, et que Jean-Jacques clamait partout qu’il allait repeupler le pays avec sa jeune maîtresse. Terminé de se les rouler. Dehors le vieux libidineux. Fini l’assistanat. Bonjour le moment où il fallait traverser la rue pour trouver du turbin. Le Nord de l’Europe ne voulait plus payer pour le Sud. Pire qu’un ministre des Finances teuton devant un dirigeant grec. Jean-Jacques chopa le bourdon, il perdit sa maîtresse en plus de sa banquière, et il dut s’investir dans le projet de ses comparses. Il était des trois celui qui s’exprimait le mieux. Le seul qui pouvait faire illusion. Autant dire que tout s’annonçait pour le mieux.
Embarquez pour le monde foireux des Croquignol, Filochard et Ribouldingue des Cévennes
Je dois remonter à loin pour trouver un bouquin qui m’a fait autant rire. Et ce n’est pas une grosse poilade, une collection de quelques bonnes vannes qui disparaîtraient au fil des pages. Mon frère, ce zéro est très bien écrit avec un vocabulaire parfois précieux. Il s’inscrit dans la lignée des romans policiers parodiques, humoristiques, comme ceux de Lawrence Block et Donald Westlake, et plus récemment de Pascale Dietrich avec Les mafieuses ou Iain Levison dans Un voisin trop discret. Ce n’est pas un hasard, Colin Thibert est un auteur de romans policiers primé pour Royal cambouis, et à l’imagination foisonnante car il est également l’auteur de pièces de théâtre ou radiophoniques, et il fut dessinateur de presse. Né à Neuchâtel, d’où sans doute la présence de Genève dans le roman, il nous emmène dans une cavalcade derrière ses trois pieds nickelés. Alors embarquez dans le monde foireux des Croquignol, Filochard et Ribouldingue des Cévennes. Profitez du savoir d’un détective privé au sens moral très élastique, toujours en quête d’argent, et qui se croit agent secret parce qu’il a lu tout Gérard de Villiers. Moquez-vous de la déférence du représentant personnel du ministre de l’Intérieur auprès d’un patron milliardaire. Et plus généralement des personnages masculins du bouquin qui rivalisent de bêtise et de suffisance. Parce que c’est sûr, ici les femmes s’en sortent mieux, fussent-t-elles qualifiées de saute-au-paf et fantasmées comme porteuses de panties.