Basse-Terre, Guadeloupe, mars 1967. Raphaël Balzinc un vieil homme handicapé s’apprête à emmener sa charrette en centre-ville. Raphaël est clouteur, il prolonge la vie des godillots en plantant de la ferraille dans les semelles. Une activité de crève-la-faim que ne supporte pas le propriétaire du commerce devant lequel il officie. Cet Européen d’origine tchèque envoie son molosse bouffer le « sale nègre ». Heureusement des passants interviennent, attrapent le chien avant de caillasser la boutique et son propriétaire. L’homme est non seulement un agent électoral bien connu de l’UNR le parti gaulliste au pouvoir, mais aussi un apparenté de Jacques Foccart le conseiller aux affaires africaines du Général de Gaulle. Deux bonnes raisons pour que le préfet Delbotte gère avec doigté l’événement à un moment où des velléités d’indépendance se font entendre dans l’île. Rescapé des barbouzeries post-guerre d’Algérie (Requiem pour une République) et des massacres français au Cameroun(Frakas), Sirius Volkstrom s’est recyclé aux États-Unis. Six ans après le désastre de la baie des Cochons, il forme avec la CIA les anti-castristes dans les bayous de Floride. Beaucoup de moustiques dans son quotidien, au moins autant d’alcool, mais peu de perspectives de succès. Aussi l’Agence de renseignement américaine envoie le Français en Guadeloupe pour qu’il dégote des bras prêts à déloger les barbudos moyennant quelques biffetons. Luc Blanchard passe des jours heureux à Pointe-à-Pitre aux côtés de sa compagne Lucille et de leur petite Célanie. Contacté par le rédacteur en chef de France-Antilles il renoue avec son ancien métier de journaliste. Premier sujet abordé : l’émergence d’un mouvement indépendantiste, le Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe (Gong). Blanchard ne va pas tarder à retrouver sur l’île son ancienne connaissance Antoine Lucchesi. Rangé des voitures car ne travaillant plus pour la mafia marseillaise, ce Corse convoie désormais des yachts pour améliorer son ordinaire.
Foccard tirait les ficelles comme il le faisait en Afrique
Même méthode avec le même résultat. Dans ce troisième volet de sa trilogie sur les faces cachées du gaullisme, Thomas Cantaloube conserve une trame de roman policier pour nous raconter un évènement sanglant resté sous le manteau. Cela donne un roman haletant et ô combien enrichissant. Car qui avait entendu parler de la manifestation du 26 mai 1967 à Pointe-à-Pitre ? Déclenchée pour demander des augmentations de salaire, et tout autant pour protester contre le racisme ambiant, elle fit de nombreux morts. Huit selon les chiffres donnés à l’époque, plusieurs dizaines selon les témoins. L’événement montre comment fonctionnait le pouvoir et comment il considérait les nouveaux départements d’outre-mer. Comme des colonies nonobstant leur nouveau statut. Avec des propriétaires qui n’avaient toujours pas admis qu’ils n’avaient plus le droit de vie et de mort sur les descendants des esclaves. Et un pouvoir chapeauté par Foccard qui tirait les ficelles comme il le faisait en Afrique. Les personnages déjà entrevus dans Requiem pour une République et dans Frakas sont là pour faire vivre la grande Histoire et ils le font bien. Blanchard, Luchesi et même Volkstrom sont toujours aussi attachants. Comme dans les opus précédents Cantaloube les mélange à des personnages véritables. Foccard mais aussi Claude Estier un proche de Mitterrand, le jeune Jacques Chirac, le futur secrétaire général de la CGT Henri Krasucki, et maître Henri Leclerc. L’ensemble donne un récit magnifiquement documenté, et qui confirme ce que nous savions depuis Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx : rien ne vaut un bon polar pour nous faire pénétrer au sein du pouvoir.
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