Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Chaleur humaine, Serge Joncour, Éditions Albin Michel

Sep 3, 2023 #Albin Michel

l’on retrouve avec bonheur les personnages et les lieux de Nature humaine, le précédent livre de Serge Joncour que j’avais tant aimé. Retour donc à la ferme des Bertranges dans le Lot entre Gourdon, Souillac et Cahors. Nature humaine débutait en 1976 alors quarante-quatre ans après l’environnement a quelque peu évolué. L’autoroute est désormais construite à proximité du domaine familial, suffisamment loin pour échapper aux nuisances sonores. Mais pas à celles des lumières que l’on aperçoit la nuit en plus des avions toujours plus nombreux, c’est ça le progrès. Alexandre désormais cinquante-sept ans en ce début de 2020 a repris la ferme de ses parents qui lui parlent encore comme à un enfant. Ils ne font plus que du maraîchage pour améliorer leur retraite, ce qui n’empêche pas son père de lui déconseiller de mettre si tôt les vaches à l’herbe à cause de la tuberculose bovine que l’on annonce dans le coin. Certes le cheptel des Bertranges est isolé, mais avec les renards et les blaireaux qui rôdent allez savoir. La vérité est que Jean ne supporte plus l’élevage et qu’il a même interdit à Angèle sa femme de garder ses poules qui pourraient chopper la grippe aviaire. Acheter des œufs, encore un truc que la mère d’Alexandre n’aurait jamais imaginé. Pour excuser Jean, il faut dire que l’époque est anxiogène. On construit des hôpitaux dans l’urgence en Chine pour se protéger d’un mystérieux virus. Heureusement en France il n’y a que deux personnes contaminées. Parce que se cloîtrer chez soi ne doit vraiment pas être drôle, surtout en ville où habitent Caroline, Agathe et Vanessa les trois sœurs d’Alexandre. Elles ont déjà bien assez de mal avec leur vie privée et leur métier. Caroline vit seule à Toulouse depuis son divorce. Pas de quoi se réjouir la cinquantaine passée. Agathe est mariée à Greg sans pour autant beaucoup le voir tant ils se débattent pour sauver leurs commerces à Rodez. Vanessa la plus jeune est célibataire à Paris. Photographe et web designer elle vient d’annuler un voyage à Milan car on annonce le pire en Lombardie. Alexandre a davantage de certitudes dans son existence. Il a su rebondir à la ferme après la tempête de 1999 en abandonnant l’agriculture intensive pour un élevage à taille humaine. Et il a Constanze la blonde activiste d’Allemagne de l’Est qu’il a connue en 1980. Ils ne vivent pas ensemble, elle est conservatrice d’une réserve naturelle sise entre le plateau de Millevaches et la vallée de la Cère, et ils y trouvent leur équilibre.

Autour de lui tout change

Serge Joncour est un écrivain à part. Plus je le lis, et c’est le cinquième de ses romans que je chronique, plus je l’apprécie. On peut se jeter dans Chaleur humaine sans avoir lu Nature Humaine dont il constitue la suite. Mais ce serait dommage. Lisez les deux, de préférence dans le bon ordre, vous doublerez votre plaisir. Vous redécouvrirez l’irrésistible avancée du progrès décrite dans Nature Humaine symbolisée par la construction des centrales nucléaires et des autoroutes, la modernisation de l’agriculture portée par la chimie, et la fascination des hypermarchés dans lesquels se précipitent les agriculteurs. Certains résistent encore mais ils n’arrêtent pas le mouvement. Les premiers signes des nouveaux dangers sont toutefois tangibles avec la sécheresse de 1976 et surtout les tempêtes de 1999. Vingt années après, impossible de nier, on est en plein dedans. La mondialisation des échanges se manifeste par l’apparition du virus qui après la Chine et l’Italie atteint la France. Le covid n’est malheureusement pas un symptôme isolé. Alexandre a pourtant choisi de ne pas faire grandir son exploitation agricole. Il a refusé l’intensification, remis ses vaches à l’herbe tout en privilégiant les races rustiques. Les récentes tempêtes lui ont donné raison, car les nouvelles stabulations ont bien moins résisté que les bâtiments anciens. Mais autour de lui tout change. Il constate comme son père que la nature se réchauffe de plus en plus tôt dans l’année. Que les rivières s’assèchent, que les cultures font face à de nouveaux dangers, des frelons asiatiques aux parasites de toute sorte qui déboulent dans les champs. Même les arbres mille fois plus anciens que les hommes commencent à souffrir. Alexandre c’est le point d’équilibre de la famille. Celui qui va faire suffisamment de concessions quand débouleront dans son coin perdu ses sœurs, leur mari et leurs enfants. Elles représentent pourtant ce qu’il a combattu, les terres concédées à des éoliennes et à un centre de maintenance de l’autoroute au prétexte que l’agriculture n’était plus rentable. Elles ont bonne mine maintenant qu’elles reviennent chez lui pour échapper au virus, en comprennant que la vraie richesse est celle de l’espace dont on dispose. Le microcosme aurait pu imploser, mais à la ferme comme dans le pays l’heure est à l’union nationale. Surtout quand il s’agit de sauver trois petits bichons, trois boules de poils, que même les parents qui ne voulaient plus d’animaux ne voudraient plus quitter. Un peu de chaleur humaine, portée par la plume de Serge Joncour, ça fait toujours du bien.

Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Chaleur-humaine.html

Vous pourriez aussi apprécier
L’écrivain national

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *