Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

L’empire de l’or rouge, Jean-Baptiste Malet, Éditions Fayard

Oct 1, 2017 #Fayard

Rouges de honte. C’est ce que vous serez après avoir lu la passionnante enquête de Jean-Baptiste Malet sur l’industrie de la tomate, si vous continuiez à acheter ses produits. Parce que la tomate, amoureusement préparée par une mama italienne, c’est du passé. L’industrie agroalimentaire en a fait un produit mondialisé, élaboré dans un pays, transformé ou maquillé dans un autre et consommé ailleurs. Avec des chaînes de valeur qui, comme pour un Iphone, expliquent la localisation de ces activités. Petit voyage dans le temps et dans l’espace pour comprendre. Tout a commencé au début du vingtième siècle à Pittsburgh aux États-Unis dans la Heinz Company. Henry Heinz y a inventé bien plus que le ketchup. À savoir une entreprise qui allait devenir mondiale grâce à une recherche forcenée de la productivité. Avant même ce que fit Henry Ford dans son usine d’automobiles. Seconde étape : la constitution d’une industrie italienne sous Mussolini. En cherchant à assurer l’autonomie alimentaire de son pays, le dictateur rationalise la production, aide à la constitution d’usines de machines-outils autour de Parme pour structurer la filière. Les excédents se créent et les exportations démarrent, facilitées par la diaspora italienne des États-Unis. Avec la popularisation de la pasta et des pizzas, la mondialisation est en marche. Les Italiens sont la référence et exportent leur savoir-faire dans le monde entier. Dans les années 80, ils aident les Chinois à créer des usines de concentré dans le Xinjiang, leur province musulmane. La main-d’œuvre ne coûte rien : un centime d’euro par kilo de tomates pour les cueilleurs. Moins encore pour les prisonniers du goulag qui sont réquisitionnés. Les maladies dues aux pesticides sont offertes par les patrons. Car pour booster la rentabilité, les semenciers ont opté pour des variétés spécifiques qui réclament de la chimie. Avec une peau dure, histoire de résister au transport. Et très peu d’eau dans les fruits puisque ces tomates sont exclusivement destinées à produire du concentré. Le marché intérieur restant à créer, les Chinois exportent, surtout en Italie, où le concentré est dilué puis revendu comme produit italien. Rien, et surtout pas la réglementation européenne, ne s’y oppose. Les mafieux du sud de la Botte l’ont compris et en font de Naples à Foggia ou à la Sicile un nouveau moyen de blanchiment de leur argent. Accessoirement, ils embauchent Bulgares, Roumains et autres migrants pour soutenir la production transalpine. Toutes les entreprises de la grande distribution vous refourguent leurs concentrés, pulpes et autres coulis. Le concentré chinois aurait-il mal voyagé, il est alors coupé, mélangé et expédié en Afrique un marché en forte progression. Tant pis pour les producteurs locaux de tomates qui ne peuvent pas lutter contre cette concurrence. L’histoire n’est pas finie. Les entreprises chinoises deviennent plus ambitieuses. Elles fournissent peu à peu des produits plus élaborés et plus profitables. Ils prennent également pied en Europe en rachetant notamment l’entreprise française Le Cabanon. L’ancienne coopérative est dépecée et n’est rapidement plus qu’un prête-nom pour écouler du concentré Made in China. Pas en reste, les Américains répliquent en mécanisant la récolte. Pour faire quoi ? « De la merde » aurait dit un chroniqueur gastronomique récemment disparu. Alors la prochaine fois que vous envisagerez de manger de la sauce tomate, laissez tomber l’industrie. Achetez vos ingrédients près de chez vous et un peu d’huile de coude. Votre survie et celle des esclaves de la tomate du Nord de la Chine ou de Californie sont peut-être à ce prix. Cela vous permettra aussi d’éviter le carton rouge.

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