Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La vie rêvée des hommes, François Roux, Éditions Albin Michel

Juin 21, 2021 #Albin Michel

Ils ne sont pas nombreux les auteurs dont on se dit qu’on lira à coup sûr leur prochain ouvrage tant on a aimé les précédents. Et qu’on continuera encore longtemps, même s’il arrivait qu’on accroche moins à une nouvelle parution, parce qu’au cours du temps on a signé avec eux un pacte de fidélité. François Roux en fait partie. Il a même sur ce blog une place unique, car c’est la découverte du Bonheur national brut qui motiva la création de Surbooké pour l’unique raison qu’un tel bouquin se devait d’être partagé. Les romans suivants, Tout ce dont on rêvait et Fracking ont montré qu’on pouvait compter sur cet écrivain pour alimenter nos jardins secrets. Secret François Roux le demeure encore eu égard à l’audience limitée qui est la sienne dans les médias, même s’il a convaincu de nombreux lecteurs. Il revient dans l’actualité avec La vie rêvée des hommes, toujours chez Albin Michel, un roman qui est à la fois le récit d’une passion totale entre deux hommes et celui du combat sur soixante ans des homosexuels pour accéder à la dignité. La vie rêvée des hommes est composée en alternance de chapitres français et américains, un peu comme la vie de son auteur qui a longtemps vécu à New York. Le bouquin raconte Paul et Stanley de 1944 à 2000 comme Le bonheur national brut était consacré à quatre amis que l’on suivait de 1981 à 2012. Autre point commun entre les deux romans, la présence d’un jeune breton homosexuel nommé Paul. Mais son initiation se passe mieux dans La vie rêvée des hommes que dans Le bonheur national brut où elle tenait davantage du forage que de la découverte du plaisir.

Dans les bars il suffit qu’un inspecteur soupçonne la présence d’un gay pour fermer l’établissement

La vie rêvée des hommes débute dans le Paris libéré qui s’apprête à accueillir le général de Gaulle. L’heure est à la joie, tout le monde est dans la rue, on rit, on s’embrasse même si tous les Allemands n’ont pas encore rendu les armes. Paul dix-neuf ans est ébloui par le corps nu de Stanley qui en a trente. Paul est un soldat français du général Leclerc, Stanley militaire américain fait la guerre sous les ordres du général Barton. Ils se sont rencontrés à la terrasse d’un café sur les Champs-Élysées et sont désormais dans l’appartement du père de Stanley. Cette première fois avec un homme qui en a l’habitude est magique pour Paul. Elle dure huit jours le temps que Stanley soit rappelé dans son régiment et qu’ils se déclarent leur amour. La guerre terminée Stanley retourne à New York. Il multiplie les aventures sans daigner répondre aux lettres de Paul. Même dans cette grande ville l’homosexualité demeure cachée. Dans les bars il suffit qu’un inspecteur soupçonne la présence d’un gay pour fermer l’établissement. En 1950 Paul se marie avec Elsa en Bretagne. Ils sont amis depuis l’enfance et coucher avec une fille évite à Paul de se sentir infidèle à Stanley. Elsa ne rêve pas de mariage mais elle voit en Paul celui qui la rendra heureuse. Lui trouve dans cette union un moyen d’accéder à une forme de compromis social. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à penser à son ancien amant.

Anita, on ne veut pas de tes enfants, on veut ton mari !

Arrivé à ce stade du roman, certains auront peut-être eu du mal à développer de l’empathie pour Stanley. Parce qu’en tant que fils d’un riche industriel, il évolue dans un milieu privilégié, appartement familial sur la Ve avenue, nul besoin de gagner sa vie, et une certaine mansuétude des autorités en raison de son statut social. Apprécier Paul est plus facile car on souffre pour ce marin-pêcheur d’une Bretagne catholique qui n’a d’autre choix que de cacher sa vraie personnalité. Mais le meilleur est à venir. On vous défie de ne pas tomber sous le charme d’Elsa l’épouse de Paul, qui peu à peu s’adapte à ses relations bien particulières avec son mari malgré le contexte des années soixante. Et puis le roman bascule avec l’arrivée de Luca, adolescent homosexuel voisin de Paul, que l’adulte n’accepte pas de voir harcelé. Il y a d’autres scènes admirables comme celle où Paul emmène son fils nourrisson en bord de mer pour lui avouer quel père il est. L’autre force du roman est la description du long combat des homosexuels qui débute en Amérique. On découvre leur vie dans ce qui devrait être une ville éclairée, fréquentant les bars inféodés à la mafia, dont les patrons vendent de l’alcool frelaté et de la bière coupée à l’eau, et qui rançonnent les clients en les faisant chanter. Ce qui ne leur évitait nullement de se faire tabasser et embarquer par la police. Le pouvoir judiciaire n’est pas en reste lui qui envoie les homosexuels en prison fédérale avec au choix la castration chimique ou la lobotomie. Pour écrire ce roman comme pour les précédents, François explique avoir rassemblé beaucoup de documents. Cela donne une scène où les homosexuels new-yorkais se moquent d’Anita Bryant, une chanteuse qui avec son association « Sauvons nos enfants » était partie en croisade contre leurs droits. Parce que si on cédait maintenant avec les gays, il faudrait ensuite faire de même avec les prostituées et ceux qui couchent avec des saint-bernards. D’où la réaction d’indignation des gays : « Anita, on ne veut pas de tes enfants, on veut ton mari ! ». On sait que l’histoire tournera du bon côté, mais à quel prix. Après l’apparition du gay power se profile déjà l’arrivée du sida avec toutes les infamies qui l’ont accompagné.

Présentation vidéo du roman

https://www.laviereveedeshommes.com/project-1

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