Joseph Bialot, né Bialobroda dans une famille juive de Pologne, n’est pas un écrivain ordinaire. Au moins parce qu’il n’a rien publié avant l’âge de 55 ans. Mais aussi parce qu’une partie de son œuvre découle de son passage à Auschwitz où il avait été envoyé après son arrestation en tant que résistant. Comme beaucoup de rescapés, Bialot eut beaucoup de mal à se remettre « d’avoir vu ce qu’aucun humain ne devrait voir ». Il travailla de nombreuses années dans l’entreprise de tricot de ses parents tous miraculeusement épargnés par la Shoah. Il tenta surtout de se reconstruire en entamant une psychanalyse et passa une licence de psychologie à Vincennes lui qui n’avait jamais fait d’études. Sa rédemption vint aussi de l’écriture. Une manière comme une autre de se purger au contraire d’autres survivants qui finirent par se suicider faute d’avoir raconté leur histoire. L’œuvre de Bialot commence par Le salon du prêt-à-saigner couronné par le grand prix de littérature policière. Un roman qui vous fera découvrir le quartier du Sentier. Il y en aura d’autres comme il y aura de nombreux livres évoquant les camps. Soit sous la forme d’un récit comme dans C’est en hiver que les jours rallongent ou dans des formes romancées. 186 marches vers les nuages vous emmènera à la recherche d’un ancien nazi au cœur de Berlin quelques jours après la fin de la guerre. Bialot mêle souvenirs et imagination dans La station Saint-Martin est fermée au public. Dans tous ses livres, il parvient à glisser quelques traits d’humour noir. Comme quoi l’espoir est toujours possible.

Le récit de Bialot de son passage à Auschwitz est pour moi insurpassable

Gallimard vient de republier Le salon du prêt à saigner et La manufacture de livres l’a fait avec C’est en hiver que les jours rallongent. Il faut s’en féliciter quand il semble de bon ton de s’accuser à tout moment d’antisémitisme ou d’islamophobie. Quand des décérébrés n’ont rien trouvé de mieux que de coller des Étoiles de David sur des immeubles et des bâtiments. Quand un humoriste se fait traîner dans la boue comme si nous n’avions plus le droit d’être Charlie. J’en profite donc pour ressortir l’édito du numéro que j’avais consacré à Joseph Bialot dans l’ancienne version de Surbooké. Celle qui était diffusée aux agents de l’Insee. Elle est certes présente sur ce blog (ici) mais bien cachée. Le récit de Bialot de son passage à Auschwitz est pour moi insurpassable. Encore plus fort que Si c’est un homme de Primo Levi parce qu’il est accessible à tous. Alors lisez-le, faites-le lire, écoutez l’incroyable interview qu’il avait donnée à l’émission Un livre, un jour (ci-dessous) Cela fera peut-être saisir à certains qu’il ne faut pas banaliser la Shoah.

Le judaïsme a longtemps cohabité sans grandes difficultés avec la religion musulmane

Et puisqu’on parle ici antisémitisme rien de mieux que de regarder les quatre épisodes de L’histoire de l’antisémitisme que propose Arte. Si vous ne le savez pas déjà vous découvrirez l’incroyable persistance de ce fléau qui sévit depuis deux millénaires. Sa résilience également car s’il fut pendant longtemps religieux, il s’est ensuite transformé en phénomène racial. Vous prendrez conscience que le judaïsme a longtemps cohabité sans grandes difficultés avec la religion musulmane comme pendant la domination arabe et berbère sur la péninsule ibérique. L’Empire ottoman fut aussi un des États qui accorda aux Juifs leurs pleins droits après que la Révolution française l’a fait en premier. Car c’est bien la religion catholique qui a provoqué et entretenu la haine des Juifs. C’est elle qui a inventé les caricatures du Juif au nez crochu, qui a réduit ce peuple à l’état d’usuriers et plus encore de collecteurs d’impôts avec la détestation qui allait avec. C’est l’Église qui a autorisé les crimes aux cohortes des Croisés se dirigeant vers Jérusalem. Et qui étaient les premières communautés non catholiques rencontrées avant d’arriver au Levant : les communautés juives. De fait les confrontations entre Juifs et Musulmans sont récentes. Elles datent de la création d’Israël comme l’a raconté le journaliste de Haaretz Ari Shavit dans Ma terre promise parce que la question de la cohabitation entre Juifs et Palestiniens n’a jamais été réglée. Mais qui pourrait oublier qu’après le meurtre de six millions de Juifs pendant la Shoah les rares survivants des camps n’avaient plus d’endroits où aller. Et surtout pas en Pologne car moins d’un an après la libération d’Auschwitz s’y déclencha un nouveau pogrom. Toujours au nom d’un prétendu meurtre d’un jeune garçon catholique dont le sang aurait été utilisé pour un rituel juif. Toujours avec à la clef des assassinats de Juifs. Certes l’antisémitisme s’est développé dans les pays arabes après la seconde guerre mondiale, mais sans aucun rapport avec le conflit israélo-palestinien. La haine des Juifs entretenue par Nasser en Égypte n’avait d’autre but que de souder les nations arabes qu’il souhaitait incarner. C’est pour cela que les nombreuses populations juives ont peu à peu quitté le Maghreb, l’Irak et le Yémen pour migrer en Israël.

Le droit légitime d’Israël à exister ne vaut pas quitus pour l’annexion des colonies

Le conflit israélo-palestinien est hélas revenu dans l’actualité et tout particulièrement depuis le 7 octobre 2023. Aux abominations commises par le Hamas ont succédé des bombardements massifs des populations civiles de la bande de Gaza. Il ne s’agit pas ici de donner raison à un camp ou un autre, ni de comparer les bilans meurtriers. Il s’agit juste de rappeler à ceux de tous les bords qui lancent des anathèmes que même ces crimes monstrueux n’ont rien de comparable avec la Shoah. Ils sont inexcusables, ils ont fait réapparaître des douleurs enfouies. Mais dénoncer les meurtres du Hamas ne devrait pas permettre de les comparer à ceux des nazis, mais plutôt à de nombreux épisodes monstrueux de l’histoire contemporaine. Les massacres japonais à Nankin, ceux des fascistes italiens en Éthiopie, la guerre civile algérienne. La guerre d’indépendance du Cameroun quand l’armée française avait utilisé le napalm faisant sans doute plus de 100 000 morts (voir Frakas de Thomas Cantaloube). Ou même les massacres de l’insurrection malgache de 1947, un an après le procès de Nuremberg, quand militaires et colons français tuèrent de 50 000 à 100 000 personnes. De l’autre côté le droit légitime d’Israël à exister ne vaut pas quitus pour l’annexion des colonies, les meurtres qui vont avec, et encore moins pour les milliers de Palestiniens tués à Gaza. « Le Hamas prend la population en otage, du coup on tue les otages », c’était le dialogue que prêtait Charb à des soldats israéliens lors d’une incursion passée de Tsahal dans la bande Gaza. Tout cela est impardonnable mais la Shoah c’est encore autre chose. « Auschwitz ne peut pas être “ mis en mots “, ni en images, ni en sons » a écrit Joseph Bialot dans C’est en hiver que les jours rallongent. Nous devons nous en souvenir pour ceux qui comme Joseph Bialot ont connu les camps.

https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017590/histoire-de-l-antisemitisme/

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